mercredi 4 mars 2015

La fraternité de reliance



Il y a bien des années que j'ai parlé de fraternité de reliance. C'est en particulier après avoir lu le livre très intéressant sur "le moment fraternité" de Régis Debray, que j'ai éprouvé le besoin de parler de fraternité de reliance.
En effet, il m'apparaissait clairement dans ce livre que l'auteur parlait avant tout d'une fraternité de combat, c'est-à-dire d'une fraternité en opposition de groupe à groupe.
Sans nier cette dimension d'une certaine fraternité habituelle, celle des combattants militaires dans toute guerre, ma philosophie de la vie, liée aux trois concepts majeurs de profondeur, de reliance et de gravité, me conduisait nécessairement à une autre conception beaucoup plus englobante la fraternité. J'ai largement exposé cette conception dans mon livre en ligne intitulée "De la profondeur".
Plusieurs ouvrages récents ont fortifié ma conception d'une fraternité de reliance.
En particulier ceux de Mathieu Ricard sur l'altruisme dans le monde humain et animal, celui de Jacques Lecomte sur la bonté humaine, et celui très récent du philosophe français et musulman Abdennour Bidar consacré à la fraternité qu'il appelle "universelle."


Mais qu'est-ce que la fraternité de reliance ?


Elle correspond à la mise en œuvre évidente de la catégorie existentielle que je nomme la reliance. Cette dernière est la continuité phénoménologique de l'existence de ce que je nomme la profondeur, une façon de nommer le réel monde non symbolisable en dernière instance.
La reliance, dans son moment fraternité, s'ouvre sur la "gravité" de toute existence humaine en tant que non séparable de  la réalité vivante et dynamique.

Pour approcher cette conception de la fraternité de reliance, il faut la distinguer de deux autres conceptions très habituelles dans notre façon de penser.
Je reprends à cet égard les trois éléments constitutifs de la république française : liberté, égalité, fraternité.
Une approche habituelle, en fin de compte, affirme la séparation totale et l'autonomie de ces trois dimensions. On peut la systématiser par la suite ainsi rédigée:
Liberté /Égalité /Fraternité.
Une autre conception dominante consiste a fusionner en les confondant les trois concepts qui s'écrivent alors ainsi :
Liberté =Égalité =Fraternité
Tout le monde sait  bien que sur le plan social, économique et politique cela correspond à une illusion pure et simple.
La reliance dans la fraternité s'inscrit dans un autre graphe beaucoup plus intéressant.
[Liberté <Égalité <Fraternité]
Dans ce dernier graphe, la liberté est englobée dans l'égalité qui elle-même est englobée dans la fraternité, le tout Étant lui-même englobé dans la dynamique de la vie.
En effet, la liberté n'est pas séparable de l'égalité bien qu'elle présente une autonomie relative.
Historiquement, la liberté a donné le libéralisme économique et s'est absolutisée au détriment de l'égalité, et a fortiori de la fraternité.
Dans le régime capitaliste, l'inégalité progressive a conduit des groupes sociaux à la confrontation parfois meurtrière et à la destructivité de la fraternité.
Si la liberté se dissout en tant qu'animation créatrice dans l'égalité, celle-ci reprend sa vigueur constructive au cœur de la fraternité qui l'englobe.
La fraternité ne peut s'autonomiser complètement. Elle rétroagit nécessairement sur les deux autres catégories d'égalité et de liberté. Elle devient réellement "fraternité de reliance" lorsqu'on la comprend dans une totalité dynamique en liaison à la fois à la profondeur et à la gravité.
Cette fraternité de reliance est celle des sages, et parfois celle des philosophes de l'expérience qui ont atteint un certain niveau de compréhension du réel dans lequel ils sont inscrits.
À lire les auteurs précités, j'en suis convaincu.
En particulier, l'ouvrage d'Abdennour Bidar, (Plaidoyer  pour la fraternité, Albin Michel, 2015), représente, dans sa conception de la fraternité universelle, une variante de ce que j'appelle la fraternité de reliance.
L'auteur précise sa pensée et son concept tout le long du livre. Mais principalement dans son chapitre "la fraternité comme sacré" (pages 67 à 90).
Il exprime à ce moment toute la richesse d'une philosophie musulmane centrée sur un humanisme contemporain et existentiel. Pour moi, comme pour tous ceux qui connaissent l'esprit du soufisme et de grands spirituels comme l'émir Abdelkader par exemple, cela ne fait pas de doute.
Comme A.bidar le soutient : "chacun va devoir choisir entre la fraternité universelle ou le repli sur soi, la grande famille humaine ou la petite tribu identitaire" et reconnaître la valeur supérieure de ce type de fraternité par rapport à toutes les autres valeurs (page 68).
Comme Abdennour Bidar j'en ai marre de tous les détracteurs de l'être humain qu'ils considèrent comme des êtres fondamentalement solitaires, égoïstes, agressifs et à la capacité d'aimer réduite à la portion congrue au  sein d'une représentation de l'anthropologie que Marshall Sahlins appelait "sinistre".
Il est grand temps de faire retour à nous-mêmes, dans l'intimité de notre être et de notre cœur, pour retrouver une reconnaissance, une renaissance, de ce miracle d'être entrés un jour subitement et pour un temps éphémère dans la vie humaine.

René Barbier


3 commentaires:

  1. J'ai un peu corrigé mon texte. Voir dans "le journal des chercheurs"

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  2. Bonjour cher René et merci pour ce beau texte !

    Je le mets en lien avec un constat frappant qui ressort des 2 jours du Printemps de l'Education" : Les enfants savent naturellement vivre ensemble ! Ce qui veut dire que nous adultes, étant enfant, savions "vivre ensemble" et que nous avons oublié. Quelle tristesse !

    Comment ré-apprendre ? Observer les enfants ? Leur demander de nous apprendre ? Dire en groupe de parole notre "mal à vivre ensemble" ? Créer des groupe de recherche SpEd ou autres ? Je ne sais pas trop !

    Pour autant, ce "ré-apprendre à vivre ensemble" me semble être un des chemins vers "la fraternité de reliance" que vous évoquez !

    Il me semble aussi que le fait d'offrir de l'espace à la connaissance de soi, à la quête existentielle, à la spiritualité, ... dans nos pratiques éducatives y contribue également.

    Quand je lis vos écrits, ceux de Jiddhu Krishnamurti, de Pascal Galvani, ..., lorsque je côtoie des Etres comme ceux qui constituent le groupe SpEd, je me sens reliée à l'essence de leur pensée. Cette reliance m'apporte, comme le soleil, le ciel étoilé, la terre, ... l'énergie dont j'ai besoin pour poursuivre ma route et continuer, vaille que vaille, à semer mes petites graines dans l'esprit des Etres qui croisent ma route. Je ne sais jamais si elles vont pousser. Néanmoins, en mon âme et conscience, je les ai semées. A charge pour chacun de les arroser ou non, les faire pousser ou non, ... elles leurs appartiennent ! J'ai accepté depuis longtemps, comme vous me l'aviez conseillé, « que l'autre m'échappe à tous jamais ».

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  3. Par ailleurs et pour reprendre votre : "j’en ai marre de tous les détracteurs de l’être humain qu’ils considèrent comme des êtres fondamentalement solitaires, égoïstes, agressifs et à la capacité d’aimer réduite à la portion congrue, au sein d’une représentation de l’anthropologie que Marshall Sahlins appelait "sinistre"", je vous raconte ce qui s'est passé avec ma nièce handicapée, vendredi 20 mars dernier alors que nous nous rendions au Parc des Buttes Chaumont en métro.
    Elle s'appelle Elise. Elle a 30 ans et habite dans une foyer pas loin de chez vous. Elle travaille dans un ESAT. Suite à un accident de naissance, elle a une déficience intellectuelle et des problèmes de mobilité. Elle est un modèle de joie de vivre et de bon sens. Comme j'étais sur Paris, nous avons passé la journée ensemble. Après, le déjeuner, nous avions envie de nous balader un peu dans Paris. Cependant, comme, elle se déplace difficilement et avec des canes, il ne fallait pas aller trop loin. Le "Parc des Buttes Chaumont" me semblait proche. C'était sans compter les nombreux escaliers, couloirs de métro et l’ascenseur pour sortir du métro aux "Buttes Chaumont" qui était hors service. Elle a donc gravit et descendu quelques 600 marches au total lors de notre virée. Étant dans mes représentations, avec des jambes qui fonctionnent bien, je n'avais pas suffisamment anticipé ces aspects. Outre sa pugnacité, son plaisir manifeste à réaliser tout cela avec moi (malgré sa douleur), autre chose, m'a, nous a réconforté : La bienveillance des usagers du métro et des passants. Qu'ils soient blancs, jaunes, noirs, ... jeunes ou âgés, ..., pressés ou non, tout le long de notre trajet, ils se sont mobilisés pour aider Elise, lui offrir leur place, la soutenir pour sortir, ouvrir la porte, ... Même le barman d'un bistrot face au Parc est resté lui parler et a anticipé les escaliers d'accès aux toilettes pour que je l'aide.
    Ce que je veux dire ici est que lorsqu'on parle de Paris, du métro, ... l'indifférence, l'égoïsme, l'agressivité des gens sont évoqués. Hé, bien, je suis d'accord avec votre "coup de gueule", les Etres humains sont toujours humains et ils ont toujours des yeux pour voir la détresse, la souffrance, dans le corps et le cœur des autres. Et, chacun, à sa façon, sème ses graines pour y lire autre chose, ne serait-ce qu'un sourire.
    Là, je pense que nous étions dans cette "fraternité de reliance" dont vous parlez.

    Voilà ce qu'à évoqué chez moi, la lecture de votre texte.

    Je vous embrasse affectueusement.

    Céline :-) La Charentaise !

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