mardi 21 avril 2015

L'improvisation en éducation




Giusi Lumare


« L'improvisation éducative force les blindages
 de la pensée aristotélicienne.
 Elle touche au plus obscur:
au non-rationalisable
 de la psyché, ce qui n'exclut
 pas la connaissance pour autant» [1]

Parmi les dispositifs aptes à déclencher de véritables changements dans l’approche éducative, l’improvisation est ce qui permet de troubler l'ordre inconscient des systèmes socio-mentaux qui nous régissent, notamment les structures liées réciproquement dans ce que Max Pages nomme un système socio-mental[2].
Ces sont les structures de domination, au sens sociologique du terme, constituées par des rôles de pouvoir et des idéologies qui les légitiment.
 René Barbier[3] reconnait que le système socio-mental est bien celui que chacun doit affronter pour devenir son propre auteur, pouvoir improviser et concourir à l'émergence d'une improvisation collective fructueuse. Ce faisant, improviser en éducation, conduit vers la liberté d'apprendre et la réalisation d'une pédagogie du potentiel personnel.
L’improvisation est liée au concept d’autorisation: improviser c'est commencer à être son propre auteur. « Répéter sans créer véritablement, débouche presque toujours sur une conception autoritaire de l'autorité qui révèle une personnalité faible et cimentée dans un code social et moral protecteur, entraînant des comportements stéréotypés de soi et des autres. Improviser, au contraire suppose une création telle qu'on devient à la fois auteur de soi-même tout en permettant aux autres d'être eux-mêmes »[4]
L’improvisation est le concept clé d’une « pédagogie de la libération ».
Elle nous permet d’imaginer une posture libérée des modèles de références et des préjugés, dans la vie comme dans la relation maitre-élève. En éducation, elle est le dispositif parmi lequel on saisit le véritable sens de la relation d’où l’acte créatif surgit tout seul.
L’improvisation est un dispositif d’apprentissage qui peut réussir à saisir une communication et une reliance entre maitre et élèves dans une posture d’écoute sensible réciproque.
Le fait de se questionner sur les dynamiques de l’apprentissage musical m’a aidée à retracer l’utilité d’une approche sensible à l’écoute et à la présence dans le moment de la rencontre, là où surgit la relation maitre-élève.
Si on veut saisir la démarche à entreprendre pour concevoir une spiritualité laïque en éducation, il faut d’abord comprendre la pratique spirituelle. J’ai voulu approfondir les relations existantes entre la pratique de l’improvisation en éducation, les effets de réalisation du potentiel humain et la dimension spirituelle de la relation pédagogique, à travers une conversation avec un ami musicien compositeur, chercheur en sciences de l’éducation et troubadour  comme il se definit. Salvatore Panu, qui est aussi l’auteur du livre « Il Mito Sardo » [5], se questionne sur la pratique comme marchandise en m’amenant à voir la pratique spirituelle et bien sûr, aussi la pratique éducative, comme liée à la production plutôt qu’au processus de compréhension et d’apprentissage. On observe qu’on ne peut pas avoir un moment comme celui de la spiritualité dans un produit. C’est le processus qui crée la liaison .
 Logique de la séparation et anarchie de la spiritualité laïque
La laïcité peut être reconnue sur le plan du droit, même du coté social et institutionnel, par contre sur le plan culturel elle est beaucoup plus difficile d’accepter. La peur empêche cette reconnaissance. Le but de la spiritualité laïque serait de dépasser les spécificités culturelles pour comprendre ce qui relie.  La reliance c’est la conscience du partage au-delà des différences. En rentrant plus à fond dans le liaison entre spiritualité et improvisation , ce musicien qui m’a aidé à éclaircir l’essence de l’improvisation, pense à la théorie des moments[6] et au concept de moment dans l’improvisation : par ce regard, le moment de la spiritualité organisée dans les églises ou dans les temples,  rentre dans la logique de la séparation, dans la rationalisation de l’organisation de la vie. Par contre, l’instant c’est un moment particulier, c’est le moment de l’intuition, là où tout à coup tu comprends, une sorte d’illumination. C’est l’attitude typique de l’improvisation. On parle de l’improvisation comme d’une composition instantanée, car c’est un processus élaboré par des instants. « En improvisant, on a l’impression d’avancer dans la compréhension, on a une vision plus compréhensive des choses. L’improvisation en musique peut durer quelques minutes, cinq, dix, pas plus de vingt, mais l’instant d’intuition qui a généré l’improvisation, a duré quelques secondes, c’a été un flash. Au milieu de chaque improvisation il y a une intuition ».
Les religions sont organisées pour gérer la spiritualité de la collectivité elles sont centrées sur les masses, alors que la spiritualité est centrée sur le sujet.
 La spiritualité laïque est un concept conçu dans les termes de la logique pour expliquer une attitude de vie. C’est une posture dans la vie, concernant une attitude unifiant, une unité entre les dimensions fragmentées de nous-même. Les relations qui se créent autour du sujet qui vit dans cet état sont des véritables relations et elles changent au fur et à mesure du changement du sujet. C’est proche de la relation empathique dont on a parlé . Pour S. Panu  la spiritualité laïque est anarchiste, elle ne reconnaît aucune autorité car l’individu par cette attitude spirituelle est un individu autonome, qui s’autorise à sentir et à expliquer par soi-même, le sens de son être au monde. La religion a instauré la hiérarchie des pouvoirs et la spiritualité laïque est anarchiste par rapport à l’institution religieuse .
 Cette nécessaire absence de reconnaissance d’aucune autorité culturale et morale dans l’être qui vit la spiritualité laïque, nous oblige à réfléchir sur l’anarchie comme valeur éthique avant d’être politique.
Mais cette ouverture de l’éducation vers le possible, comporte une attention à plusieurs niveaux dans la relation d’apprentissage où la présence, l’écoute, l’attention, le vécu et l’imaginaire sont impliqués. Penser le moment de la rencontre en éducation, comme un moment de présence intégrale du maitre et de l’élève, n’est concevable que dans une optique compréhensive de plusieurs approches en sciences humaines. La transdisciplinarité nous permet d’élargir la lecture du fait éducatif sur de nouvelles perspectives d’interprétation et d’action car elle représente le dépassement des spécificités disciplinaires. L'éducation transdisciplinaire abat les cloisons entre les frontières du savoir, et, selon l'heureuse formule de Basarab Nicolescu, en pratique la "transgression jubilatoire".





[1] R. Barbier, L’improvisation éducative, http://www.barbier-rd.nom.fr/Improvisationeducative.html, [7/5/2010].
[2] M. Pages, Systèmes socio-mentaux, Bulletin de Psychologie, Tome XXXIV, 1981 - N~ à50, p. 589 -601.
[3] R. Barbier, ibidem.
[4] Ibidem.


[5]S. Panu, Il mito sardo, cultura della festa e società dello spettacolo, Dogliani, Tivoli, Sensibili alle foglie, 2001.
[6] R. Hess, Henri Lefebvre et la pensée du possible, théorie des moments et construction de la personne, Paris, Anthropos, 2009.

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