Giusi Lumare
« L'improvisation éducative force les
blindages
de
la pensée aristotélicienne.
Elle touche au plus obscur:
au non-rationalisable
de
la psyché, ce qui n'exclut
pas
la connaissance pour autant» [1]
Parmi
les dispositifs aptes à déclencher de véritables changements dans l’approche
éducative, l’improvisation est ce qui permet de troubler l'ordre inconscient
des systèmes socio-mentaux qui nous régissent, notamment les structures liées
réciproquement dans ce que Max Pages nomme un système socio-mental[2].
Ces sont les structures de domination, au sens sociologique du terme, constituées par des rôles de pouvoir et des idéologies qui les légitiment.
Ces sont les structures de domination, au sens sociologique du terme, constituées par des rôles de pouvoir et des idéologies qui les légitiment.
René Barbier[3] reconnait que le système socio-mental est bien celui
que chacun doit affronter pour devenir son propre auteur, pouvoir improviser et
concourir à l'émergence d'une improvisation collective fructueuse. Ce faisant,
improviser en éducation, conduit vers la liberté d'apprendre et la réalisation
d'une pédagogie du potentiel personnel.
L’improvisation
est liée au concept d’autorisation: improviser c'est commencer à être son
propre auteur. « Répéter sans créer véritablement, débouche presque
toujours sur une conception autoritaire de l'autorité qui révèle une
personnalité faible et cimentée dans un code social et moral protecteur,
entraînant des comportements stéréotypés de soi et des autres. Improviser, au
contraire suppose une création telle qu'on devient à la fois auteur de soi-même
tout en permettant aux autres d'être eux-mêmes »[4]
L’improvisation
est le concept clé d’une « pédagogie de la libération ».
Elle
nous permet d’imaginer une posture libérée des modèles de références et des
préjugés, dans la vie comme dans la relation maitre-élève. En éducation, elle
est le dispositif parmi lequel on saisit le véritable sens de la relation d’où
l’acte créatif surgit tout seul.
L’improvisation
est un dispositif d’apprentissage qui peut réussir à saisir une communication
et une reliance entre maitre et élèves dans une posture d’écoute sensible
réciproque.
Le
fait de se questionner sur les dynamiques de l’apprentissage musical m’a aidée
à retracer l’utilité d’une approche sensible à l’écoute et à la présence dans
le moment de la rencontre, là où surgit la relation maitre-élève.
Si
on veut saisir la démarche à entreprendre pour concevoir une spiritualité
laïque en éducation, il faut d’abord comprendre la pratique spirituelle. J’ai
voulu approfondir les relations existantes entre la pratique de l’improvisation
en éducation, les effets de réalisation du potentiel humain et la dimension
spirituelle de la relation pédagogique, à travers une conversation avec un ami
musicien compositeur, chercheur en sciences de l’éducation et troubadour
comme il se definit. Salvatore Panu, qui est aussi l’auteur du livre « Il
Mito Sardo » [5], se questionne sur la pratique comme marchandise en
m’amenant à voir la pratique spirituelle et bien sûr, aussi la pratique
éducative, comme liée à la production plutôt qu’au processus de compréhension
et d’apprentissage. On observe qu’on ne peut pas avoir un moment comme celui de
la spiritualité dans un produit. C’est le processus qui crée la liaison .
Logique de la séparation et anarchie de la
spiritualité laïque
La
laïcité peut être reconnue sur le plan du droit, même du coté social et
institutionnel, par contre sur le plan culturel elle est beaucoup plus
difficile d’accepter. La peur empêche cette reconnaissance. Le but de la
spiritualité laïque serait de dépasser les spécificités culturelles pour
comprendre ce qui relie. La reliance c’est
la conscience du partage au-delà des différences. En rentrant plus à fond dans
le liaison entre spiritualité et improvisation , ce musicien qui m’a aidé
à éclaircir l’essence de l’improvisation, pense à la théorie des moments[6] et au concept de moment dans
l’improvisation : par ce regard, le moment de la spiritualité organisée
dans les églises ou dans les temples,
rentre dans la logique de la séparation, dans la rationalisation de
l’organisation de la vie. Par contre, l’instant c’est un moment particulier,
c’est le moment de l’intuition, là où tout à coup tu comprends, une sorte
d’illumination. C’est l’attitude typique de l’improvisation. On parle de
l’improvisation comme d’une composition instantanée, car c’est un processus
élaboré par des instants. « En improvisant, on a l’impression d’avancer
dans la compréhension, on a une vision plus compréhensive des choses.
L’improvisation en musique peut durer quelques minutes, cinq, dix, pas plus de
vingt, mais l’instant d’intuition qui a généré l’improvisation, a duré quelques
secondes, c’a été un flash. Au milieu de chaque improvisation il y a une
intuition ».
Les
religions sont organisées pour gérer la spiritualité de la collectivité elles
sont centrées sur les masses, alors que la spiritualité est centrée sur le
sujet.
La spiritualité laïque est un concept conçu
dans les termes de la logique pour expliquer une attitude de vie. C’est une
posture dans la vie, concernant une attitude unifiant, une unité entre les
dimensions fragmentées de nous-même. Les relations qui se créent autour du
sujet qui vit dans cet état sont des véritables relations et elles changent au
fur et à mesure du changement du sujet. C’est proche de la relation empathique
dont on a parlé . Pour S. Panu la
spiritualité laïque est anarchiste, elle ne reconnaît aucune autorité car l’individu
par cette attitude spirituelle est un individu autonome, qui s’autorise à
sentir et à expliquer par soi-même, le sens de son être au monde. La religion a
instauré la hiérarchie des pouvoirs et la spiritualité laïque est anarchiste
par rapport à l’institution religieuse .
Cette nécessaire absence de reconnaissance
d’aucune autorité culturale et morale dans l’être qui vit la spiritualité
laïque, nous oblige à réfléchir sur l’anarchie comme valeur éthique avant
d’être politique.
Mais
cette ouverture de l’éducation vers le possible, comporte une attention à
plusieurs niveaux dans la relation d’apprentissage où la présence, l’écoute,
l’attention, le vécu et l’imaginaire sont impliqués. Penser le moment de la
rencontre en éducation, comme un moment de présence intégrale du maitre et de
l’élève, n’est concevable que dans une optique compréhensive de plusieurs
approches en sciences humaines. La transdisciplinarité nous permet d’élargir la
lecture du fait éducatif sur de nouvelles perspectives d’interprétation et
d’action car elle représente le dépassement des spécificités disciplinaires.
L'éducation transdisciplinaire abat les cloisons entre les frontières du
savoir, et, selon l'heureuse formule de Basarab Nicolescu, en pratique la
"transgression jubilatoire".
[1] R. Barbier, L’improvisation
éducative, http://www.barbier-rd.nom.fr/Improvisationeducative.html, [7/5/2010].
[2] M. Pages, Systèmes socio-mentaux, Bulletin de Psychologie, Tome
XXXIV, 1981 - N~ à50, p. 589 -601.
[5]S. Panu, Il mito
sardo, cultura della festa e società dello spettacolo, Dogliani, Tivoli,
Sensibili alle foglie, 2001.
[6] R. Hess, Henri Lefebvre et la pensée du
possible, théorie des moments et construction de la personne, Paris,
Anthropos, 2009.
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