Universite paris viii
departement sciences de l’EDUCATION
thèse de doctorat présentée
par Philippe FILLIOT, Professeur agrégé à l’IUFM de REIMS
Directeur de recherche : René BARBIER, Professeur d’Université
Soutenue publiquement le samedi 16 juin 2007 à
l’Université de PARIS VIII SAINT-DENIS
Mention : Très honorable avec félicitations à
l’unanimité du jury
L’ÉDUCATION
SPIRITUELLE OU L’AUTRE DE la pÉDAGOGIE.
Essai d’approche laïque de la relation maître-élève-savoir dans les
spiritualités de l’Orient et de l’Occident
(yoga, sagesses chinoises,
bouddhisme zen, christianisme)
JURY :
M. René BARBIER (Professeur à
Paris 8), Mme Yolaine ESCANDE (Directrice de recherche à l’EHESS), M. Rémi HESS(Professeur
à Paris 8), Mme Jeanne MALLET (Professeur à Aix-Marseille), M. Philippe MEIRIEU
(Professeur à Lyon 2).
Résumé
de la thèse (21 pages)
Education et spiritualité : une rencontre imprévue et féconde
Cette recherche se propose de jeter des ponts entre deux
champs séparés – voire opposés – celui de l’éducation laïque contemporaine, et
celui des grandes traditions spirituelles orientales et occidentales.
Le choix de cette thématique, qui peut paraître singulière
dans le contexte actuel des Sciences de l’éducation, est le fruit d’une double
expérience de formation. D’une part, l’exercice du métier d’enseignant au sein
de l’Education Nationale en tant que professeur agrégé d’Arts plastiques en
Lycée puis en IUFM, et, d’autre part, la découverte personnelle de pratiques orientales
associant intimement la dimension corporelle et la réflexion spirituelle. Entre
« éducation » et « spiritualité » des passages se sont
opérés peu à peu, d’une manière imprévue et subtile, mais qui m’apparaissent
d’une grande fécondité, aussi bien sur le plan pratique que théorique.
J’ai conscience que le terme de « spiritualité »
mis en avant ici peut résonner de manière déroutante et susciter des réactions,
soit trop méfiantes, soit au contraire, acritiques. Un des buts de cette
recherche est de montrer la pertinence du recours à la spiritualité comme outil
de compréhension dans les Sciences humaines en général, et dans les Sciences de
l’éducation, en particulier. C’est pourquoi un travail d’explicitation
théorique, au préalable, est nécessaire pour penser sans a priori ce concept et
lever les malentendus éventuels.
Les travaux du « dernier Michel Foucault », sur
la philosophie antique et l’herméneutique du sujet, nous semblent très utiles
pour redécouvrir aujourd’hui cette « vieille question » sous un
nouveau jour, en la débarrassant de ces différents préjugés. La lecture
méthodique de ces cours au Collège de France (1981-1982) permet en effet de
proposer une définition transversale qui met en évidence la spiritualité avant
tout comme structure de connaissance, au-delà des dogmes et des croyances.
Résumons
en une série de traits caractéristiques :
La spiritualité est essentiellement une
transformation du sujet ; cette transformation exige un travail de soi sur
soi qui recourt à des exercices et à une forme d’entraînement ; elle
génère une certaine qualité de l’être qui est l’indice du savoir spirituel ; un double mouvement de l’individu
est nécessaire pour atteindre ce but : un retournement vers
l’intériorité ; et, en même temps, un dépassement de l’ego qui s’ouvre à
l’altérité ; enfin, ce jeu du dedans et du dehors implique l’être entier
et s’applique à la totalité de l’existence. Dans ce sens, on peut dire que la
spiritualité est un art de vivre.
A partir de cette définition, que nous faisons nôtre, il
s’agit d’interroger les rapports entre l’éducation et la spiritualité, et ce,
dans les deux sens possibles. Premièrement, quelle est la dimension éducative
dans les spiritualités, comme semble l’attester la figure archétypale du maître
spirituel présente dans toutes les traditions (M.Meslin, 1990) ? Deuxièmement,
quelle est la dimension spirituelle dans l’éducation, dont la reconnaissance,
comme le montrent les récents travaux de Mireille Eztivalèzes sur les religions
dans l’enseignement laïque, se heurte à de multiples résistances ? Une
éducation à la spiritualité laïque est-elle possible ? Ce dernier
questionnement constituera l’enjeu de toute notre recherche.
A l’heure où la dimension éducative, au-delà des savoirs
disciplinaires, prend une importance de plus en plus vive dans l’évolution du
métier d’enseignant et où, parallèlement, la nécessité d’une meilleure prise en
compte du fait religieux à l’école (rapport Debray, 2002) se fait sentir ;
à l’heure où quelques chercheurs en Sciences de l’éducation, à l’écart de tout
dogme ou idéologie, interrogent la dimension spirituelle du fait éducatif
(R.Barbier, C.Fotinas, J. Mallet) ; à l’heure où dans le champ social nous
assistons à différents signes d’un « retour du spirituel » et où les
fondements de la modernité sont mis en question ; le temps est venu, nous
semble-t-il, d’œuvrer à de « nouvelles alliances » (Stengers,
Prigogine) en dépassant les clivages (savoir/vécu, science/expérience,
corps/esprit, raison/sensibilité…) qui empêchent - peut-être – une évolution en
profondeur du système éducatif, ou, du moins, de la pensée sur l’éducation.
Dans ce contexte, quel est le point de vue de cette
thèse ?
En faisant le détour par les traditions spirituelles – en
particulier orientales et extrême-orientales – il s’agit d’essayer de voir sous
un angle inédit les questions qui se posent dans l’éducation et, par ce biais,
penser autrement la pédagogie. L’entreprise théorique esquissée ici est, sur le
plan méthodologique, homologue à celle que François Jullien (philosophe et
sinologue) opère dans le champ de la philosophie par le recours à la pensée
chinoise. Le vis-à-vis de la Chine et de l’Occident lui permet de découvrir
d’autres possibilités de pensée, d’autres configurations discursives. De même, le
montage éducation-spiritualité a une valeur heuristique. Nous souhaitons
légitimer une approche « spirituelle » de l’éducation, à côté des
approches « sociologique », « philosophique »,
« historique », ou, plus récemment, « psychanalytique »,
approche qui est extrêmement marginale aujourd’hui dans la recherche en
éducation, et qui ouvre pourtant de nouvelles perspectives réflexives. C’est ce
que nous tenterons de démontrer par notre étude.
Les domaines de recherche, dans une optique
multi-référentielle, portent sur quatre traditions spirituelles mettant en
vis-à-vis Occident et Orient, et envisagées sous l’angle unique de l’éducation.
La tradition indienne du yoga, les sagesses chinoises, le bouddhisme zen et
enfin l’accompagnement spirituel dans le christianisme. Notre hypothèse est
qu’il y a dans ces spiritualités – à la fois dissemblables et cohérentes – une
« philosophie de l’éducation » à part entière, même si elle ne se
nomme pas telle, et qui reste à mettre à jour. Dans ce « dehors » du
champ scolaire, comment caractériser la relation triangulaire
maître-élève-savoir, que l’on peut considérer avec J.Houssaye comme un
invariant de tout enseignement ? Peut-on dégager, au-delà des spécificités
historiques et culturelles, un modèle éducatif propre à ce que nous appelons
« l’éducation spirituelle » ? Comment, enfin, transposer dans un
cadre laïque, des éléments de spiritualité pour une éducation
contemporaine ?
Mais avant de répondre à ces questions, une enquête sur la
présence – ou l’absence - de la spiritualité dans la philosophie de l’éducation
est indispensable. C’est l’objet de la première partie.
La place de la
spiritualité dans le champ de la philosophie de l’éducation
contemporaine : « la part maudite »
Il apparaît dans un premier temps que les rapports entre
éducation et spiritualité – peut-être plus encore que les rapports entre
éducation et religions – constituent une sorte de « part maudite » de
la pensée sur l’éducation. Après un état des lieux dans la philosophie de
l’éducation aujourd’hui, force est de constater un vide étonnant sur cette
question, au moment même où émerge dans nos sociétés contemporaines « une
nouvelle sensibilité spirituelle » (F. Lenoir, 2003). C’est précisément ce
vide, cette tache aveugle de l’entendement comme dit Bataille, dans lequel
s’origine la raison d’être de notre recherche. Cette absence de référence à la
dimension spirituelle s’expliquant, sans doute, par le fondement rationaliste
de la philosophie de l’antiquité à la modernité qui exclut, par une sorte d’arrogance
intellectuelle inconsciente, d’autres formes d’intelligibilités et d’autres
modèles éducatifs.
Ce constat initial est cependant à nuancer : quelques
allusions, ici ou là, apparaissent malgré tout chez certains philosophes
contemporains de l’éducation.
Olivier Reboul, dont la philosophie de l’éducation accorde
une place importante à la notion de sacré, sans pourtant renier les exigences
de la raison héritées de la modernité, est à cet égard exemplaire. Sa posture
réconcilie en effet autour de l’acte éducatif une approche spirituelle et une
approche philosophique. L’enjeu est de résister par là à la montée en puissance
d’une conception technicienne de l’éducation et d’affirmer le caractère sacré
de l’être humain. Cette valeur suprême de l’éducation transcende les religions
et les cultures.
De même, Guy Avanzini, montre la pertinence et la
modernité en matière de pédagogie des éducateurs chrétiens comme Don Bosco
(1815-1888), parfois écartées de la recherche en Sciences de l’éducation par
une conception étroite de la laïcité. L’apport peut être le plus original de
Bosco est d’avoir réhabilité la valeur de l’affectivité dans la relation
éducative. Nous verrons plus tard que cette « éducation du cœur », à
côté du développement intellectuel, est un point essentiel des conceptions de
l’éducation selon la vision bouddhiste.
Enfin, J.F. Lamarre, s’appuyant dans sa thèse sur une
lecture du « De Magistro » de saint Augustin, dégage une conception
de l’enseignement qui rompt avec la païdeia
grecque et introduit la notion chrétienne de « maître intérieur ». Ce
dernier constitue une sorte de lieu tiers entre le maître et le disciple, qui
sert en dernière instance, de référent au processus d’éducation. Remarquons que
cette figure « autre » - à la fois rationnelle et divine – et
découverte intérieurement par le sujet, se retrouve chez de nombreux auteurs
spirituels contemporains (K.G. Durkheim, A.Desjardins, J.Y.Leloup…).
A ces rares allusions à la spiritualité dans les
recherches philosophiques actuelles sur l’éducation, il faut ajouter un travail
de mise en perspective historique. La réflexion de J. Maritain, qu’il expose en
particulier dans son ouvrage « Pour une philosophie de l’éducation »
(1947), est essentielle sur la question qui nous préoccupe ici. Les apports de
ce philosophe chrétien d’inspiration néo-thomiste, à certains égards
anti-moderne, nous semble en effet à redécouvrir dans le contexte actuel. Les
conceptions éducatives qu’il propose, en réaction à la pensée rationaliste
héritée du positivisme du XIXème, affirment toutes la « primauté du
spirituel » (titre de l’un de ses premiers livres). Nous pouvons définir
une telle pédagogie spiritualiste en
quelques points principaux.
-
Pour Maritain, l’éducation a pour tâche essentielle de former l’homme.
Mais cette formation échappe fondamentalement à la fois au maître et à l’élève
et réside toute entière dans ce qu’il appelle « le principe vital
intérieur ». L’efficacité pédagogique, dans cette vision, est toujours
seconde.
-
L’intériorité est l’essence de l’éducation. Ni mesurable, ni
quantifiable, elle est pourtant ce qui fonde l’action éducative. Oublier cette
dimension essentielle, c’est réduire l’apprentissage à une mécanique sans
signification humaine au profit du culte de la performance.
-
L’agent déterminant de l’éducation est dans la vie de l’esprit dont
l’élève est davantage le dépositaire que le possesseur. L’attention de
l’éducateur doit donc se porter sur les dispositions spirituelles de l’éduqué,
qu’il s’agit de faire croître « naturellement », pour reprendre une
catégorie essentielle de la pensée chinoise.
-
L’art du maître, de manière dialogique, est alors de conduire seulement
l’élève à se prendre lui-même comme un ouvrage entre ses mains, et à faire de
sa vie une œuvre qu’il est le seul à pouvoir accomplir. Cet éveil intérieur, qui
ne saurait être transmis comme objet de connaissance mais par la voie de
l’expérience, est essentiellement incommunicable... Là est le paradoxe propre à
l’éducation spirituelle, que Paul Claudel résumait par la formule suivante :
« tout ce qui peut s’enseigner ne vaut pas la peine d’être appris ».
Tentatives d’orientalisation
du fait éducatif :
Nous le voyons, à travers les auteurs que nous avons
retenus jusqu’ici, la dimension spirituelle de l’éducation se limite à la
tradition religieuse chrétienne et à la tradition philosophique occidentale. En
poursuivant notre travail d’investigation, nous avons trouvé, à notre
connaissance, seulement trois chercheurs qui se tournent cette fois vers
d’autres horizons culturels, en quête de nouveaux modèles de pensée et de
nouvelles valeurs. Constantin Fotinas, René Barbier, Jeanne Mallet, selon des
modalités bien entendu différentes, ont comme dénominateur commun d’interroger
l’éducation en faisant appel en particulier aux spiritualités de l’Orient et de
l’Extrême-Orient (bouddhisme tibétain, taoïsme, confucianisme…). C’est ce que
j’appelle, en reprenant l’expression du sociologue Michel Maffesoli, les
tentatives « d’orientalisation » du fait éducatif. Notre recherche se
situe dans ce double courant « spiritualiste » et
« orientaliste », qui occupe une place encore une fois très
minoritaire dans le champ de la recherche en éducation, mais qui constitue en
même temps un puissant « contre-courant » dont E. Morin repère
l’émergence à travers de multiples symptômes sociaux.
Tout le travail de René Barbier vise explicitement à
réintroduire ce qu’il appelle le « pôle spirituel » en sciences
de l’éducation, et ce dans une perspective résolument laïque et ouverte aux
cultures « autres » (où les sagesses chinoises occupent une place
privilégiée). Mais quelle est la pertinence de ce parti-pris théorique (qui
s’ancre par ailleurs dans son expérience personnelle et vécue, pleinement
intégrée dans sa posture de chercheur) ? En quoi la spiritualité est-elle
un outil de compréhension essentiel du fait éducatif ? Nous retiendrons
quatre apports principaux :
-
La notion d’expérience est redéfinie en remettant en question la
rationalité scientiste par le recours à une sensibilité holistique,
non-conceptuelle.
-
La mise en lumière d’une autre forme de connaissance qui prend sa
source dans le fond « transpersonnel » de soi, et qui s’arrache aux
savoirs institués.
-
Un autre rapport au monde, qui passe par l’harmonisation au processus
de la vie et par l’acceptation du vide, et qui devient le lieu par excellence
de l’apprendre.
-
La reconnaissance de la méditation silencieuse comme une autre modalité
de la pensée, au-delà de l’intellect, qui permet de renouer avec des ressources
intérieures et d’ouvrir à une conscience éveillée à tout ce qui est.
Pour toutes ces raisons, la recherche sur
l’éducation chez René Barbier, se confond indissociablement avec une réflexion
sur le sens de la vie.
Nous retrouvons chez Constantin Fotinas (1933-2003),
chercheur canadien en sciences de l’éducation, cette même quête de sens,
largement ouverte sur l’expérience spirituelle. En s’inspirant de la notion
chinoise de Tao, il invite l’éducation occidentale à un processus de
décroissance pour revenir à l’essentiel. Son ouvrage « Le Tao de
l’éducation » (1990) propose sous la forme d’un poème philosophique, un
contre modèle éducatif qui se fonde paradoxalement sur des valeurs
négatives : le moins, le vide, le faible, le simple… C’est ce que Fotinas
nomme « l’éducation des profondeurs ». L’enjeu de cette démarche à
rebours est de recentrer l’acte éducatif, non sur l’accumulation des savoirs et
la parcellisation des compétences, mais sur la connaissance issue du fond, à la
fois intime et universel de la personne, non sur l’avoir mais sur l’être.
L’éducation est alors définie, à l’inverse des discours technico-pédagogiques,
comme non-agir, non-savoir, mais dont la finalité est la transformation de ce
que nous sommes. Cette conception de l’éducation, que l’on peut qualifier
d’ontologique, voire de complètement utopique, fut cependant expérimentée par
C.Fotinas dans son enseignement à l’Université selon les témoignages de ses
étudiants. L’approche taoïste, comme nous le verrons plus loin, n’invite-t-elle
pas d’ailleurs à regarder la réalité ordinaire de manière non-ordinaire ?
Enfin, Jeanne Mallet, Professeur à l’Université de
Provence, s’appuyant sur son expérience professionnelle et aussi sur son
intérêt personnel pour le Bouddhisme tibétain, cherche à faire dialoguer Orient
et Occident pour repenser l’éducation aujourd’hui. Elle relève ce défi dans un
petit ouvrage à partir d’un entretien avec le Dalaï Lama qui s’intitule
« Ethique et éducation », où elle essaye de dégager des
« nouvelles intelligibilités plus vastes » en dépassant les a priori
intellectuels et les limitations culturelles propres à nos systèmes éducatifs
dominants. Deux idées principales y sont à retenir qui permettraient, contre
toute forme de résignation et de dogmatisme, de nourrir la réflexion et –
pourquoi pas ? – guider les pratiques des éducateurs.
La première idée, comme le déclare clairement et
simplement le Dalaï Lama, est que « les systèmes éducatifs doivent avoir
deux objectifs : développer les potentialités intellectuelles mais
également les potentialités et valeurs humaines ». Le développement de
l’intelligence est nécessaire mais il doit, selon la vision bouddhiste,
s’accompagner plus largement de l’éducation du « cœur », pour vivre
de manière pleine et heureuse.
La deuxième idée importante, qui découle pratiquement de la première, est qu’il
est possible d’apprendre, et de faire apprendre, ces qualités humaines
essentielles. Mais cet apprentissage a ceci de particulier, qu’il passe moins
par les discours que par les actes, et plus encore par les manières d’être. Aussi
« être éducateur, écrit Jeanne Mallet, c’est finalement montrer le chemin
par ce que l’on fait, ce que l’on est »
Pour une
lecture pédagogique des spiritualités :
Après la première partie de la thèse dans le champ
de la philosophie de l’éducation, de la modernité à la post-modernité, et de
l’occident à l’orient, en quête de cette dimension spirituelle cachée, s’impose
pour nous la nécessité « d’aller voir ailleurs ». Qu’en est-il
maintenant, à l’inverse, de la place de l’éducation dans le champ des
spiritualités, mis à l’écart, ou tout bonnement ignoré dans la pensée
contemporaine sur l’éducation ? Pour répondre à cette nouvelle question,
la deuxième partie consiste en une approche pédagogique de différentes
traditions spirituelles.
Le fameux « triangle pédagogique » de
J.Houssaye – qui porte sur les différentes modalités de la relation entre
maître, élève et savoir – servira de grille de lecture transversale pour
analyser les conceptions générales de l’éducation successivement dans le yoga
(1) dans les sagesses chinoises (2) dans le bouddhisme zen (3) et, enfin, dans
la direction spirituelle chrétienne (4). Plus précisément, que signifient dans
ces contextes éducatifs non-scolaires, connaître (relation maître/savoir),
apprendre (relation élève/savoir), et transmettre (relation
maître/élève) ?
Précisons tout d’abord quelques points
méthodologiques. Le choix de ce corpus de références, certainement beaucoup
trop vaste en regard des habitudes universitaires, est motivé pour deux raisons
principales. D’une part, par le souci d’une approche transversale qui ne se
limite pas à un champ disciplinaire spécialisé, ni à une ère culturelle
définie, et qui permet un travail comparatif entres ces « sagesses
concordantes » comme le formule A.Delaye. D’autre part, par les
« affinités électives » que j’entretiens avec ces différents objets
de connaissance, dans l’esprit d’une recherche impliquée qui n’exclut pas la
part de subjectivité et la dimension expérientielle. Cette thèse n’est pas
celle d’un spécialiste en « Sciences des religions », ni même d’un
expert en « Sciences de l’éducation », mais d’un chercheur en
éducation, simplement ouvert à l’altérité, et qui se pose la question
fondamentale du sens.
En outre, nous aborderons ces multiples formes de
spiritualités, mais qui présentent donc une certaine cohérence, non par les
pratiques elles-mêmes, mais par le biais des discours. Notre approche, s’appuyant essentiellement
sur les textes et ayant pour but de créer des concepts, est avant tout d’ordre
philosophique, même si la spiritualité déborde nécessairement du champ strict
de la philosophie. Les résultats de la recherche ne visent pas, enfin, à une
application directement utile dans la réalité, d’une manière prescriptive.
C’est une recherche autonome, libre, fondamentale pourrait-on dire au sens
scientifique du terme. Nous espérons cependant par cette expérience de la
pensée, donner à voir l’éducation et la pédagogie sous un autre angle, et
éventuellement par là, modifier les pratiques éducatives, qui n’ont pas
d’autres sources, ni d’autres limites, que la conscience humaine…Tous les
problèmes - et toutes les solutions ! – résident dans la « vie de
l’esprit », qui définit par excellence la spiritualité selon le
dictionnaire philosophique de Lalande (1926).
1) Qu’est-ce que connaître,
apprendre et transmettre selon le yoga ?
Le yoga est défini traditionnellement comme une
discipline unitive qui s’applique à tous les aspects de l’être humain
(corporels, psychiques, relationnels, spirituels etc.). La racine sanskrite
« yug » « atteler, joindre », souvent rappelée, renvoie
bien à cette idée holistique d’union et de rassemblement, à l’opposé de la
dispersion habituelle et de l’état de division du sujet ordinaire. Ce sens
perdure encore aujourd’hui, même si la signification métaphysique première est
parfois oubliée en Occident au profit de la dimension uniquement
psycho-somatique.
A partir des Yoga-Sutras de Patanjali, texte
fondateur de la philosophie pratique du yoga, il est possible de dégager les
concepts clés de cet enseignement, qui fait partie plus largement des « darsana » (ou « vision du
monde ») classiques de l’Hindouisme.
La finalité spirituelle y est annoncée
d’emblée : le contrôle des modifications du « mental » (citta), qui dans la pensée indienne
produit inévitablement de la souffrance, pour renouer le contact avec « la
conscience profonde » (purusa),
source de paix intérieure. La connaissance, dans cette vision de l’être
humain, a une fonction ontologique
(rejoindre l’unité essentielle au-delà du moi) et sotériologique (se délivrer
de la souffrance). Mais pour atteindre ce but ultime, une pratique est
nécessaire : « On ne peut rien acquérir sans agir (krya) et sans pratiquer l’ascèse (tapas) : c’est là un leitmotiv de
la littérature yoguique » écrit Mircea Eliade. Le rôle bien connu des
postures (asanas), qui ne sauraient
se réduire à de la gymnastique, va dans ce sens. Ce qui est visé, par la
médiation du corps, est une « présence totale » au mouvement, selon
la belle expression de Maria Leao dans sa thèse sur la conscience du geste.
Le yoga se définit donc avant tout comme un chemin,
qui peut recourir à diverses méthodes, mais qui fait appel obligatoirement à
l’action et à l’expérience personnelle. Mais il s’agit aussi, dans le même
temps, de se détacher de la pratique, comme le formule un aphorisme essentiel
des Yoga-Sutras (I,12) qui associe l’intensité de l’effort (abhyâsa) et l’esprit de lâcher-prise (vaïrâgya). Nous avons affaire ici à un
apprentissage fondamentalement, et paradoxalement, pragmatique. Trois moyens,
présentés conjointement par Patanjali au début du deuxième chapitre consacré à
la pratique, forment le « socle des connaissances », pour employer
une terminologie actuelle, propre au yoga.
- Tapas
(effort, discipline, ascèse, ardeur…)
- Svâdhyâya
(connaissance de soi et étude des textes sacrés)
- Ishvara-pranidhâna
(abandon au divin, détachement, lâcher-prise…)
Ces trois notions fondamentales de l’apprenti yogi,
que nous ne pouvons pas développer ici, peuvent inspirer certainement les
qualités nécessaires au maître et à l’élève dans l’enseignement laïque. C’est
là tout le précieux travail en particulier de Micheline Flak, professeur et
formatrice, qui adapte les techniques psycho-corporelles du yoga au service des
apprentissages scolaires (RYE : Recherche sur le Yoga dans l’Education).
Dans la tradition hindoue, la transmission est
garantie par la figure controversée en Occident du Guru, dont la signification
authentique serait à restaurer. Ce dernier peut constituer un modèle intéressant
pour penser la relation éducative entre le maître spirituel et l’élève, qui
s’écarte de toute idée d’endoctrinement du sujet, mais recherche, au contraire,
sa libération et son autonomie. « Celui qui a du poids » (c’est
l’étymologie du mot guru) est ainsi (idéalement) capable de transmettre cet
éveil spirituel par la seule qualité de sa présence, une et totale, qui fait
écho à la nue réceptivité du disciple. Trois conditions sont nécessaires pour
faire exister cette relation, qui est pour Martin Buber « l’âme de
l’éducation » : la confiance (shradda),
pierre angulaire de l’enseignement selon le yoga ; la détermination dans
la pratique qui est à la mesure des résultats obtenus (abhyâsa) ; et, enfin, le détachement (vaïrâgya), qui contrebalance la nécessité des efforts et invite au
calme, à la patience et à l’abandon du « fruit des actes », comme le
développe par ailleurs la Baghavad Gîtâ. Se dessine là toute une éthique de la
relation pédagogique.
2) Qu’est-ce que connaître,
apprendre et transmettre selon les sagesses chinoises ?
L’histoire spirituelle de la Chine est traversée par
trois courants principaux : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme.
Au-delà des différences de contenus et de doctrines, ces enseignements se
rejoignent sur un point : l’absence de croyance en un principe divin
transcendant. La « pensée chinoise », comme le montre l’excellente
synthèse de Anne Cheng (1997), est athéologique et essentiellement immanente.
Les conceptions de l’enseignement, en particulier dans le taoïsme, présentent une
approche paradoxale de la connaissance. Il s’agit, comme le formule Tchouang
Tseu, de « connaître ce que la connaissance ne connaît pas ». Les
sages taoïstes proposent une critique radicale du langage, de la raison, et du
savoir lui-même, sur lesquels toute l’éducation occidentale se fonde. Par cette
voie négative, s’affirment cependant d’autres modalités du connaître. La
sagesse chinoise, se séparant en cela de la définition académique de la
philosophie, est une pensée qui « sert à vivre ». Elle réinscrit la
pensée dans le corps qui devient le lieu fondamental de l’apprentissage,
échappant ainsi à la dualité corps/esprit. De plus, la connaissance y est
toujours reliée à la totalité dynamique du monde, en ne séparant jamais le
sujet connaissant et l’objet connu. Cette recherche d’adéquation à la nature
peut aller jusqu’à la dissolution de la conscience, qui s’oublie totalement
dans l’acte tout en étant parfaitement présente à soi et aux choses. L’oubli –
thème typique de nombreuses paraboles - est alors considéré comme une forme de
connaissance supérieure. A l’idée de progrès, qui procède par l’acquisition
cumulative de nouveaux savoirs, se substitue celle de « faire
retour » à une sorte de fond indéfinissable, vide, et fécond, désigné par
le terme essentiel de « Dao ». Dès lors, comme le déclare Lao-Tseu,
il faut en premier lieu « apprendre à désapprendre ».
Mais comment acquérir cette connaissance
« large », qui ne divise pas entre le savoir et le vivre, l’esprit et
le corps, l’homme et le monde, l’être et le non-être, la connaissance et la
non-connaissance ? La pensée chinoise, profondément pragmatique, met
l’accent non sur sa définition conceptuelle, mais sur sa mise en pratique.
Aussi, apprendre consiste à « savoir comment » et non à « savoir
quoi ». Il s’agit d’approfondir dans l’existence le sens d’une leçon, d’un
enseignement, d’une expérience analyse A.Cheng. C’est pourquoi l’exemple du
geste a une valeur essentielle dans l’éducation traditionnelle en Chine, comme
le montre l’anecdote célèbre du cuisinier Ding chez tchouang-Tseu. Mais cette
habileté dans l’action, qui sait épouser le réel, fait appel paradoxalement à la
« spontanéité », au « naturel » (ziran) qui sert de modèle idéal à tout agir (art, vie, politique,
pédagogie). Dans cette optique, la réalité ordinaire dans son ensemble, même la
plus basse, est l’occasion (non-prévisible) d’un apprentissage spirituel
où il en va du « fondamental », au sens chinois, c'est-à-dire rendant
visible le fond du Dao. Ici, la réalisation dans la vie prime sur le savoir purement
intellectuel, qui peut faire
« barrage aux choses », selon l’expression récurrente de F.Jullien.
Il y a là un apprentissage différent qui passe au contraire par la « désobstruction »
du mental. Ce primat de la réalisation immédiate, qui court-circuite
l’intellect, prend à rebours encore une fois ce qui nous semble rendre possible
a priori l’accès à la connaissance, mais aussi la relation éducative entre le
maître et l’élève.
Le sage chinois se définit par une série de négations.
Il est sans idée, sans activité propre, sans désir, sans volonté, sans
intention, sans paroles…Le paradoxe est que cette absence de qualités
n’implique pas l’impossibilité de transmettre, mais donne au contraire les
conditions mêmes dans lesquelles s’exerce l’action éducative. C’est ce que les
chinois appellent « agir par le non-agir » (wei wu wei). Le silence, l’allusion, le détour, la disparition
même, deviennent, grâce à l’art du maître, des moyens pédagogiques hautement
efficaces. L’œuvre de l’élève, de la même façon, consiste premièrement à
« faire le vide ». C’est le vide qui garantit, en effet, la
disponibilité intérieure qui est indispensable à la vie de la connaissance, comme le montrent les
recherches philosophiques du sinologue F.Billeter. Et l’expérience de cet
apprentissage singulier, démontré aussi par les sciences cognitives, exige une
longue et progressive maturation. L’exemple de l’éducation spirituelle en Chine
montre l’importance de la lenteur dans le processus de formation, qui contredit
aujourd’hui la recherche de résultats immédiats. Enfin, entre le maître et
l’élève, s’établit une relation par « résonances » (ganying), au-delà des catégories et des
séparations habituelles, et qui échappe à l’intentionnalité, mais qui est bel
et bien réelle et efficiente. L’enseignement, à ce niveau, se transmet
« d’esprit à esprit ».
3) Qu’est-ce que connaître,
apprendre et transmettre selon le zen ?
La tradition japonaise zen, qui est un héritage du
Tc’han chinois, qui a assimilé de même la méditation de l’Inde ancienne
(Dhyâna), se présente de manière éminemment paradoxale. Le zen, se situant
fondamentalement au-delà du langage et des concepts, il est impossible d’en
donner une définition ! Pourtant, ce petit mot indéfinissable rencontre un
grand succès médiatique, parfois discutable, et une pratique vivante et
authentique se développe en Occident aujourd’hui. On peut dire que la pratique
du zen repose sur trois éléments. La posture assise et immobile – remontant à
l’éveil du Bouddha - ; la prise de conscience de la respiration (en
particulier de l’expir) ; et, surtout, sur l’attitude de l’esprit propre à
la méditation : l’impermanence de toutes choses, l’attention au présent,
la présence non-mentale au corps… Tout cela concourt à une éducation spéciale,
profonde et silencieuse, de la conscience elle-même.
L’éducation zen n’est pas une étude mais avant tout
une expérience. D’où la méfiance, voire la virulence, souvent affichée par les
maîtres zen pour les livres, ou pour toute forme de spéculation déconnectée de
la vie concrète. Cette posture, en apparence anti-intellectualiste, n’est pas
cependant un renoncement au savoir, mais une manière d’en souligner les limites
et de montrer le but véritable de la voie qui est d’atteindre
« l’éveil » ou « l’illumination ». C’est ce que les
japonais appelle le « Satori »,
concept majeur de la connaissance propre au zen. Cet état ultime se
caractérise, selon T.D. Suzuki, par un choc soudain qui bouleverse radicalement
l’être sur tous les plans (psychologique, logique, métaphysique,
phénoménologique…), mais qui est vécu avec un sentiment magnifique de
nouveauté, de liberté et de plénitude. Il ne faut pas voir néanmoins la
réalisation du Satori comme quelque chose d’extraordinaire, mais au contraire,
comme un retour – conscient - à l’ordinaire. Dans l’esprit d’équanimité du
bouddhisme zen, les hiérarchies conventionnelles sont abolies et chaque chose,
chaque activité, chaque moment de la vie de tous les jours, méritent une
attention spéciale et deviennent source de connaissance. C’est le sujet d’un
dialogue fameux entre un moine et son disciple :
-
« Maître, je vous en prie enseignez-moi la voie »
-
« As-tu terminé ton repas ? »
-
« Alors, va laver ton bol ! »
Mais revenir à cette forme de
« simplicité », qui opère une transfiguration du banal, implique
paradoxalement un apprentissage difficile, long, terriblement exigeant. Dans le
zen, apprendre est une véritable ascèse où il s’agit de se dépouiller des
propensions habituelles de l’esprit. Trois concepts fondamentaux orientent
cette pratique négative : hishiryo
(non-pensée), mushotoku (non-profit),
shoshin (non-savoir). Premièrement,
la méditation zen est mise en suspens – proche de l’épochè chez Husserl – de la
pensée (rationnelle, analytique) qui n’est pas une négation de l’intelligence
mais qui permet de se rendre disponible à une autre forme de pensée (intuitive,
globale, corporelle). Le peintre zen chinois Shitao écrit ainsi :
« c’est la réceptivité qui précède, et la connaissance qui suit »
(traduction Pierre Ryckmans). Deuxièmement, la pratique qui réclame pourtant
une grande détermination, échappe à la sphère du vouloir et au règne de
l’utilité. Elle est une activité autosuffisante, gratuite, sans but ni profit,
ou comme le dit Kant à propos de l’art, « une finalité sans
fin ». Dès lors, cesser toute idée
de recherche est la voie véritable du zen. Enfin, les maîtres zen invitent à
maintenir tout au long de l’apprentissage ce que Dôgen au XII ème siècle
appelle « l’esprit du débutant » et qui peut se rapprocher du non-savoir
cher à G. Bataille. Ne pas savoir est en
effet une manière de toujours garder l’esprit neuf, libre, ouvert, prêt à
recevoir, qui seul est à même d’autoriser l’évolution intérieure.
Penser sans penser, vouloir sans vouloir, faire sans
faire, savoir sans savoir, tel est pour résumer l’enseignement du zen !
Comment maintenant transmettre « cela », qui ne saurait se réduire à
un simple objet de connaissance, de maître à élève ? Nous retrouvons tout
d’abord, le rôle central du silence comme stratégie pédagogique, qui renvoie à
la définition fondatrice de la transmission zen par Bodhidharma de l’Inde à la
Chine au 5ème siècle de notre ère. Selon ce paradigme, la relation de maître à
disciple se fait directement de « cœur à cœur » (I shin den shin), sans la médiation des mots et des concepts. Un
autre moyen, que l’historiographie zen a beaucoup popularisé, est le recours au
choc : cris, coups, interjections, éclairs…Cette pédagogie violente et
explosive ne peut se comprendre que dans la perspective d’obtenir l’illumination,
en détruisant si nécessaire pour cela les cadres de pensée. Le maître ici n’est
pas un instructeur mais un provocateur d’éveil. Les fascinants « koans », formules contradictoires
et percutantes, n’ont pas d’autre but. Mais tout l’agir du maître n’est rien
sans la réalisation de l‘enseignement par l’expérience personnelle du
pratiquant. Le rôle de l’élève, ici comme ailleurs, est déterminant. Dans la
vision bouddhiste de l’éducation, il s’agit de retrouver, en lui-même et par
lui-même, la nature de Bouddha qui est déjà là en « puissance », au
sens de Aristote, en chacun de nous et de l’actualiser ici et maintenant. Et
cela, personne d’autre ne peut le faire à sa place... Enfin, le rapport
maître-élève est pensé de manière non duelle. La source de l’enseignement,
au-delà de ses contenus théoriques, réside dans une « pratique partagée en
commun » déclare le moine zen contemporain R. Rech, ou un « vivre
avec » selon la belle expression de M. Foucault sur le mode de transmission
dans la philosophie antique. Alors, par une forme de sympathie intime et rare
entre les personnes, une transformation profonde de l’être advient, comme
aimait le dire souvent Maître Deshimaru (1914-1982), « inconsciemment, naturellement,
automatiquement ».
4) Qu’est-ce
que connaître, apprendre et transmettre selon la tradition chrétienne ?
Se tourner, comme nous venons de l’esquisser, vers
les spiritualités orientales de la tradition hindoue, chinoise et japonaise, ne
doit pas faire oublier notre propre culture occidentale. La tradition
chrétienne offre en effet par ce que l’on appelait autrefois « la
direction de conscience », et plutôt aujourd’hui « l’accompagnement
spirituel », un modèle précieux d’éducation qui accorde une valeur
primordiale à la relation de personne à personne. Cette nécessité d’une
relation inter-individuelle pour progresser spirituellement, que l’on retrouve
des Pères du désert jusqu’à la figure essentielle de saint Ignace de Loyola,
est héritée de la tradition philosophique de la Grèce antique. Mais le
Christianisme substitue en quelque sorte au Logos grec, fondé sur la raison
abstraite, un « Logos divin », incarné par le Christ. Dans cette
perspective, la relation maître-élève est toujours secondaire par rapport à la relation à Dieu, qui est le
« Pédagogue »par excellence. Si bien que, comme l’écrit Y. Raguin
(1985), « la direction spirituelle n’est pas une science, c’est un art et une
sagesse qui relèvent de l’expérience humaine et de l’intelligence
divine ».
Les conceptions de la connaissance reposent en
premier lieu sur la notion cruciale d’incarnation. L’enseignement n’est
efficace que dans la mesure où le maître incarne le savoir et devient ainsi un
exemple vivant de ce qu’il enseigne. Cette pédagogie par l’exemple (qui
remonte, à travers la figure médiatrice du Christ, au modèle transcendant de
Dieu) n’implique pas pour autant la reproduction mécanique, mais doit être
comprise comme une appropriation individuelle, toujours nouvelle et
recommencée, par « l’expérience humaine du divin » (M. Meslin, 1988).
A la limite, enseigner peut se passer de paroles et recourir aux actes. Pour le
saint, sa présence seule suffit alors à « montrer » l’enseignement
dont il témoigne totalement. Car l’essentiel est dans cette adéquation parfaite
du dire et du faire, de l’être et du paraître, du silence et de la présence.
C’est ce dernier point que la tradition orthodoxe nomme « la prière du
cœur » (hésichya). Le cœur,
qu’il ne faut pas entendre d’un point de vue physiologique, mais comme un
centre profond, tout à la fois sensible et spirituel, devient ici la source
intérieure du véritable savoir. Mais
comment apprendre l’intériorité, « la grande absente de l’éducation
contemporaine » (R. Barbier, 2001) ?
La pédagogie ignatienne au XVI ème siècle propose la
méthode des « exercices spirituels », qui sert encore aujourd’hui de
référence pour les moines mais aussi pour les laïcs. Elle se centre sur la
conscience propre de l’élève, ou de « l’exercitant », et le maître,
ou le « directeur de conscience », a surtout un rôle
d’accompagnateur. Dans cette relation pédagogique, « ce qui est premier,
écrit Maurice Giulani (1916-2003), jésuite et fondateur de la revue Christus,
c’est l’expérience spirituelle ». Et celle-ci est une aventure qui échappe
à la programmation, et qui se vit dans tous les évènements du quotidien, et pas
seulement dans les temps consacrés aux exercices dits « spirituels ».
Il s’agit de développer et d’affiner une sensibilité nouvelle à soi et au
monde, qui tend vers une attention continue à la présence de Dieu. L’attention
(nepsis en grec) est pour la
philosophe Simone Weil « la clef d’une conception chrétienne de
l’éducation ». Or, cette faculté essentielle est dans la société actuelle
mise à mal « par la surenchère de stimulations activistes », écrit Philippe
Mérieu, et il semble nécessaire aujourd’hui à l’école de « s’intéresser
aux difficultés d’attention des élèves ». Pour les croyants ou non, nous
avons là justement des indications pour une pédagogie de l’intériorité qui
laisserait enfin la possibilité de « sentir et goûter les choses
intérieurement » et de « s’y arrêter » (saint Ignace de Loyola).
Enfin, le maître spirituel dans le Christianisme
n’est pas à considérer au fond comme un enseignant (didascalos) mais comme l’organe du Saint Esprit (pneumatikos). Son rôle pédagogique est
entièrement subordonné à cette fonction « pneumatique ». Néanmoins,
il est possible de définir les qualités humaines nécessaires à l’exercice de la
direction spirituelle : la charité, le discernement, la patience, la fermeté,
et la plus haute de toutes, l’amour. Ce qui donc définit le maître est moins la
possession de savoirs que la manifestation de vertus, d’inspiration divine. Les
qualités de l’élève ne sont pas moins exigeantes. La première est l’ardeur de
la quête car, comme dit la Bible « qui cherche, trouve » (qui n’est
pas sans évoquer la notion indienne de tapas).
La persévérance, et la confiance au-delà des difficultés, sont aussi
indispensables dans les efforts menés vers ce but. Mais à ces dispositions
« actives » s’ajoutent des dispositions que l’on peut qualifier de
« passives » : attendre, accueillir, se taire, écouter…Tout
l’apprendre se joue entre ce faire et ce laisser faire. Transmettre, pour
conclure, consiste, et ce, des deux côtés de la relation éducative, dans ce jeu
du donner et du recevoir où s’associe intimement l’effort et la grâce. C’est
pourquoi Evagre Pontique considère peut être une telle transmission spirituelle
comme « l’art des arts ».
a partir de la vision
d’ensemble de nos quatre voies spirituelles, risquons une synthèse rapide,
nécessairement réductrice, de leurs conceptions éducatives (et que nous
développerons par la suite) :
L’éducation spirituelle fait appel à une
connaissance pragmatique, holistique, trans-personnelle et dialectique (dans le
sens où elle « dépasse » le savoir). L’apprentissage y consiste en
une recherche de l’intériorité qui nécessite discipline et abandon, et qui
oblige à désapprendre les habitudes humaines naturelles. La transmission, se
faisant de personne à personne, est en même temps une relation paradoxale,
non-duelle, non-verbale.
Exemples de
vie :
Ces conceptions éducatives, dans une optique
« spirituelle », n’ont pas qu’une valeur théorico-conceptuelle, mais s’incarnent existentiellement. C’est
pourquoi, pour terminer, nous compléterons notre analyse par la présentation de
différentes figures du maître spirituel et du disciple : Etty Hillesum,
Fabienne Verdier, Krishnamacharya... Ces exemples de vie sont délibérément
choisis dans la période moderne et contemporaine pour montrer l’actualité de
cette relation archétypale, qui peut être de surcroît indépendante des
structures religieuses.
La destinée tragique de la jeune juive Etty
Hillessum, qu’elle raconte dans son journal intime rédigé en camp de concentration,
laisse de manière posthume un témoignage bouleversant d’auto-éducation. C’est
en effet face aux épreuves du réel, dans ce qu’il a de plus insoutenable,
qu’elle apprend une forme très élevée d’adéquation inconditionnelle à la vie.
Elle est considérée aujourd’hui comme un
« maître spirituel » dont le message transcende les croyances.
Fabienne Verdier, étudiante aux Beaux-Arts qui part
apprendre la peinture auprès de maîtres chinois dans les années 80, découvre
par ce voyage initiatique toute une spiritualité modifiant radicalement sa
vision du monde et de l’art. Le récit de sa formation (« Passagère du
silence », 2003) est un document unique sur les processus d’apprentissages
mis en jeu par une éducation indissociablement artistique et spirituelle.
Dans la tradition néo-hindouiste, Krishnamacharya
(1888-1989), offre un rare exemple d’un « yogi pédagogue », qui
s’interroge tout au long de sa vie centenaire, sur la double nécessité de
transmettre un enseignement traditionnel et d’inventer des moyens pédagogiques
adaptés au monde moderne. Il réconcilie ainsi la figure de
« l’éducateur » et la figure du « sage », qui selon René
Barbier, semble a priori s’exclure l’une et l’autre.
Enfin, l’analyse d’un film récent du cinéaste coréen
Kim Ki-Duk (« Printemps, été, automne, hiver et printemps », 2004)
nous donne l’occasion de réfléchir sur la relation éducative du maître et du
disciple dans le cadre du Bouddhisme zen, même si ce document est fictionnel.
Celle-ci ne peut se « dire » mais il est possible justement de la
rendre visible par le biais de l’image. Comme le déclare Wittgenstein à propos
de la dimension mystique, « il y a assurément de l’indicible, celui-ci se
montre ».
L’éducation
spirituelle comme modèle de pensée :
Suite à la recherche précédente sur la dimension
éducative et pédagogique de spiritualités, à partir soit de ses discours, soit
de ses figures, un nouveau questionnement s’ouvre à nous. Est-il possible de
dégager, de manière transversale, un modèle conceptuel de « l’éducation
spirituelle » ? Au-delà des différences historiques, culturelles,
philosophiques etc., quelles sont les caractéristiques communes de leurs
enseignements ? Et en quoi ces dernières peuvent-elles donner à penser
« la question philosophique » de l’éducation (A.M.
Drouin-Hains) ? Dans cette dernière partie de la thèse, la spiritualité
est moins l’objet de la recherche, qu’un outil méthodologique pour proposer une
réflexion nouvelle sur cette question.
Précisons tout de suite que ce « modèle »
n’a pas de prétention scientifique et universalisante, mais doit être compris
plutôt, à vrai dire, comme une création théorique dont la nature est avant tout
fictionnelle, ce qui ne l’empêche pas, je crois, d’être opératoire. En ce sens,
cette thèse est plus de l’ordre de l’essai que de la recherche universitaire
académique. Mais elle maintient par cette voie une forte dimension heuristique,
voire spirituelle : ouvrir l’esprit, élargir l’espace, « se libérer
du connu », comme disait le sage indien Krishnamurti…
Ce travail de définition et de conceptualisation se
fera en trois temps.
Je tenterai, tout d’abord, de définir l’éducation
spirituelle par la voie négative, en la caractérisant donc, non par ce qu’elle
est – qui se heurte au caractère indéfinissable de l’expérience spirituelle –
mais par ce qu’elle n’est pas. Nous reprenons ici l’approche que la théologie
appelle « apophatique ». Cette dimension paradoxale semble en effet être le trait
distinctif le plus saillant de ce type d’éducation qui vient contredire et
bousculer nos habitudes de pensée.
Ensuite, sachant comme le dit Spinoza que
« toute détermination est négation », il s’agira de dégager les
valeurs que cette forme spécifique d’éducation affirme par-delà ces négations
préalables. La notion d’expérience est en particulier un terme-clef du système,
si tant est qu’il y en ait un, propre à l’éducation spirituelle. L’approche
utilisée ici, de type essentialiste, est celle de toute la philosophie
classique.
Enfin, nous nous interrogerons sur les modalités
d’action, les méthodes, les manières de faire de l’éducation spirituelle. Il
s’agit d’envisager non les idées mais bien les pratiques. La question est celle
maintenant du « comment » et non du « qu’est-ce
que ? ». Nous pouvons qualifier cette dernière approche de pragmatique
(pragma signifie action) qui implique
la mise en pratique, fût-ce de l’essentiel, dans le monde réel. Rappelons avec
André Comte-Sponville que « la spiritualité (c’est ce qui la distingue de
la métaphysique) relève de l’expérience davantage que de la pensée ».
Pensons aussi aux passionnants travaux de Pierre Hadot sur « la
philosophie comme manière de vivre ». C’est bien la transformation de la
manière de vivre, et non la construction d’un système de pensée, qui est le
critère décisif de ce modèle d’éducation.
Traçons les grandes lignes de ce traité (imaginaire)
de l’éducation spirituelle.
1) Définitions négatives ou
apophatiques :
-
Un enseignement sans paroles :
L’expérience spirituelle se situe essentiellement en
dehors du langage et de la raison, quand bien même une vaste littérature tente
malgré tout de l’exprimer. Tel est le paradoxe sur lequel se fonde toute
transmission spirituelle et qui va engager des conceptions pédagogiques
inédites. En premier le silence, loin d’être considéré comme un échec à
l’enseignement, va devenir ici un moyen éducatif à part entière et qui ouvre à
une autre forme de connaissance, intérieure, non verbale, chez l’élève.
Ensuite, le maître n’est plus celui qui forme autrui par la maîtrise du
discours, mais celui qui, sans paroles, enseigne par ce qu’il est. Les qualités
de l’enseignant sont dès lors primordiales. Notons cependant que cette
importance de l’exemple n’a pour conséquence la modélisation des individus mais
bien au contraire la découverte de l’unicité de chaque personne.
-
Un enseignement sans contenus :
Cette pédagogie silencieuse, qui met en pleine
lumière le rapport à soi-même et à l’autre, conduit à une mise en parenthèse
des contenus. « Le but n’est pas, comme écrit D. Le Breton dans son essai
sur le silence, l’acquisition d’une quantité de savoir, mais l’indication d’un
savoir-être ». L’éducation spirituelle conduit, par-delà les savoirs, à un
non-savoir radical et à une relation profonde à l’inconnu. L’expérience du vide
– thème essentiel de nombreuses spiritualités – est ici constitutive de
l’apprentissage. De ce point de vue, la relation éducative est sans objets.
Entre le maître et l’élève, il n’y a « rien » à transmettre, car il
suffit simplement de vivre. Mais rien n’est plus difficile que de se « contenter
d’être », comme l’écrit Etty Hillesum.
-
Un enseignement sans auteur :
Le primat de l’être au détriment de l’avoir, ne doit
pas déboucher cependant sur l’affirmation individualiste de soi. L’éducation
spirituelle authentique est une invitation au décentrement de l’ego qui, sans
être nié, est replacé dans une perspective élargie. Dans tous les cas, le sujet
doit se mettre en retrait pour laisser advenir une « puissance »
primordiale en laquelle réside toute l’efficacité de l’éducation. Le maître, dans
cette vision, occupe une place secondaire par rapport à ce principe (qu’on
l’appelle Tao, Dieu, Réalité ultime, Elan vital, importe finalement assez peu).
Il n’est plus « l’auteur » de son enseignement, mais un
« vecteur », dont le moi s’efface derrière la transmission. De même
l’élève cherche à désenclaver le moi qui fait obstacle au processus
d’apprentissage issu de ce fond impersonnel.
-
Un enseignement sans médiation :
Comment peut se transmettre encore un enseignement
sans mots, sans contenus, sans moi (mais qui recourt à eux…) ?
L’expérience spirituelle se pense comme une mise en contact directe, immédiate,
de l’être humain et de « l’absolu ». Par conséquent, la transmission
se passe, de manière idéale, de toutes médiations classiques. Par un phénomène
de « réciprocité des consciences » (M.Nédoncelle) les séparations et
les distinctions qui structurent habituellement les relations (entre émetteur
et récepteur, éducateur et apprenant) sont ici abolies. L’éducation spirituelle
s’opère de « cœur à cœur » nous disent les maîtres zen, ou comme une
flamme allume une mèche d’huile dans la tradition hindoue, ou bien par un jeu
de résonances dans la vision holiste des sages chinois, ou enfin par l’action
du saint Esprit pour les chrétiens. Education par osmose, sans objet ni sujet…
-
Un enseignement sans fin :
Cette relation « parfaite » n’empêche pas
d’être soumis à l’obligation d’apprendre par soi-même, maintes fois rappelée en
particulier dans le Bouddhisme. Or, « apprendre à être », qui est la
finalité ultime de l’éducation spirituelle, ne saurait s’atteindre comme un but
définitif. Elle conduit, de commencement en commencement, sur un chemin de connaissance où l’être est
voué au changement permanent. Comme le formule Bergson « Pour un être
conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir se créer
indéfiniment soi-même ». L’inachèvement de l’éducation n’est donc pas à
voir comme un manque, mais comme une plénitude, ou plutôt comme un mouvement
interminable qui se suffit pleinement à lui-même. Nouveau paradoxe d’une quête
déterminée mais sans but, sans fin, « déterminée par son
indétermination » comme écrit Blanchot à propos de l’expérience
littéraire.
2) Définitions affirmatives :
-
Un enseignement qui passe par l’expérience :
La notion d’expérience définit la spiritualité.
L’expérience, au sens spirituel et non au sens scientifique, se caractérise
comme nous l’avons déjà vu, par l’intériorité, la transformation globale du
sujet, l’imprévisibilité, et enfin n’est possible qu’à condition de se rendre
disponible à celle-ci. Elle s’inscrit de plus dans la réalité ordinaire et met
en jeu le corps qui deviennent tous deux des « supports » de
l’éducation spirituelle. Dans cette conception expérientielle, l’enseignement
ne peut se réduire à l’activité uniquement discursive de l’esprit. La réalité
humaine et la totalité du monde, davantage que les livres, sont indispensables
à tout progrès spirituel. Ce primat de l’expérience dans les spiritualités
offre une réponse possible à la « crise de l’expérience » de l’homme
moderne, déjà diagnostiquée par Walter Benjamin au début du XXème siècle, et
qui ne fait aujourd’hui que s’amplifier dans notre hyper-modernité.
-
Un enseignement qui s’adresse à la personne entière :
Une telle expérience est une et totale, ou n’est
pas. L’éducation spirituelle – contre la fragmentation et la dispersion de
l’individu contemporain, affirme la valeur de l’unité. Elles se fonde – et elle
vise – ce que le théologien contemporain R. Panikkar appelle le
« simple » (du grec monos qui a donné « moine »). Devenir
simple peut emprunter des voies spirituelles différentes mais qui se rejoignent
sur ce but essentiel. Il s’agit de réunifier les multiples aspects de l’être
humain et de relier des domaines de savoir ou d’expérience a priori séparés
(corps et esprit, action et connaissance, sacré et profane…). Cette conception
holiste n’est pas cependant une fusion irrationnelle dans le Tout, mais une
mise en relation, en toute conscience, d’éléments distincts. Elle est pour le
sujet qui l’expérimente l’émergence d’un sens nouveau, plus profond, plus
large, plus vrai.
-
Un enseignement élémentaire :
La spiritualité ne se vit pas en dehors du monde.
Son meilleur champ d’expérience n’est rien d’autre que l’endroit où l’on est.
Contrairement à ce que l’étymologie du mot « spiritualité » pourrait
laisser entendre d’immatériel, une attention singulière est accordée aux choses
les plus proches, les plus communes, et, par là, les plus universelles.
L’importance primordiale de la respiration dans les spiritualités est un bon
exemple de cette prise de conscience de ce qui est banal,
« évident », et qui échappe du coup bien souvent à l’esprit ! Le
souffle est pourtant essentiel à la vie humaine et il est possible, par
l’entraînement, d’y découvrir des ressources intérieures insoupçonnées.
L’apprentissage spirituel consiste alors à faire retour sur ces données
élémentaires de l’expérience, occultées par les bavardages du mental. Ce
« savoir essentiel » comme le pense B. Besret est négligé dans l’éducation
actuelle : apprend-t-on à respirer à l’école ? Il ne fait pas de
doute pourtant du profit que les élèves pourraient en tirer.
-
Un enseignement pauvre :
Ce « retour aux choses », proche de la
phénoménologie, est une invitation à se déprendre de la domination de
l’intellect et de l’hypertrophie d’un seul type de savoir. La pratique
spirituelle se présente souvent comme un rééducation globale de l’être humain
qui cherche à remédier à ce déséquilibre intérieur. C’est pourquoi elle insiste
en premier lieu sur la nécessité d’un désapprentissage : « ici, vous
devez désapprendre » déclare le sage indien Maharshi. L’éducation
spirituelle, sans renoncer à l’exigence de la pensée, ouvre à une connaissance
à laquelle on ne peut accéder que par la critique radicale des processus de
connaissance eux-mêmes. C’est ce que j’appelle « le savoir pauvre ».
Le savoir pauvre ne cherche pas à acquérir encore et encore de nouvelles
connaissances, mais à se déconnecter provisoirement de l’intellectualité, à se
désidentifier des élaborations mentales,
à défamiliariser le déjà-connu, à se défaire des conditionnements
sociaux et culturels, bref, à « décroître de jour en jour » comme
écrit paradoxalement Lao-Tseu. Non pas pour apprendre moins, mais pour
apprendre autrement et mieux. Le renoncement (joyeux) au savoir peut servir de
base à un savoir nouveau.
- Un enseignement
fondamental :
A rebours de la notion occidentale de progrès,
l’idée de pauvreté oblige à penser l’action éducative selon un autre paradigme
(comme le proposait C. Fotinas avec son concept d’éducation
« moins »). L’évolution passe ici par le retour, grâce à tout ce
travail du négatif, à une sorte de « fond », dont la nature est
non-conceptuelle et non-langagière, mais qui est bel et bien la source de la
connaissance de soi. Otherness (Krishnamurti), grûnt (Maître Eckhart), tao
(Lao-Tseu), docte ignorance (Nicolas de Cues) désignent sous des vocables
différents un même lieu insituable et constitutif de l’être. La découverte de
cette dimension « fondamentale », c'est-à-dire en relation avec ce
« fond », caractérise le mouvement propre à l’éducation spirituelle,
que l’on trouve par exemple dans la méditation, la contemplation, l’extase,
l’état de présence éveillée…Elle constitue un champ d’exploration entièrement
nouveau pour les Sciences de l’éducation.
3) Définitions pragmatiques:
-
Du bon usage de la répétition :
La répétition dans la culture occidentale est bien
souvent déconsidérée au profit de l’invention,
de l’originalité, de la nouveauté, mots clés de la modernité. Mais à
l’ère post-moderne, où l’on passe d’une logique de la rupture à une logique de
la réactivation, il devient possible de réhabiliter cette notion en apparence
traditionnelle. Dans les enseignements spirituels, la répétition est utilisée
comme moyen pédagogique privilégié. Pourquoi ? La répétition déjà force à
concentrer l’attention sur un point, au lieu de se disperser dans de multiples
directions. L’exercice spirituel répété, jour après jour, n’est pas pourtant
une stagnation mais permet d’approfondir en soi son sens. Il enracine la
connaissance dans l’être et le corps. « Il est toujours identique mais
toujours nouveau » écrit le philosophe chrétien Louis Lavelle. Le
paradoxe, en effet, est que l’acte de répéter n’est pas mis du côté de la
routine stérile, mais devient une source perpétuelle de renouvellement. De
répétition en répétition, à l’habitude ordinaire se substitue peu à peu une
nouvelle habitude qui installe dans la vie un meilleur savoir-être.
-
Stratégies du choc :
L’éducation spirituelle, même quand elle recourt à
la répétition, procède par un arrachement au connu et dévoilement d’un inconnu
à même la banalité. Cette expérience imprévisible est sans précédent, sans
modèle, toute « autre » (et toute proche). D’un point de vue cognitif,
elle correspond au passage de la conscience à
un niveau de réalité différent, un « déclic ». D’un point de
vue éducatif, elle constitue une épreuve périlleuse qui transforme le sujet, un
choc formateur. Aussi, contrairement à la représentation commune du maître
spirituel éternellement sage et souriant, celui-ci peut adopter une attitude
provocante, déstabilisante, et transgresser si besoin les normes établies.
Pensons aux koans zen en apparence absurdes, à la tradition orthodoxe des
« Fols en Christ », aux comportements excentriques des philosophes
taoïstes, à l’alliance des contraires dans le yoga troublant la logique
aristotélicienne…Autant d’exemples d’une sagesse paradoxale qui sait utiliser
stratégiquement le choc comme moyen de connaissance et comme modalité
d’éducation (et non, précisons-le, comme instrument de pouvoir et de
manipulation sectaire : prudence et discernement sont ici bien sûr
nécessaires).
-
Pratiques du non-agir :
Les spiritualités (en particulier
extrême-orientales), nous offrent une autre philosophie de l’action, qui peut
aller de l’intervention fulgurante à l’immobilité apparente. Les liens qui
unissent étroitement en Occident l’homme, l’action et le monde sont
« déconstruits » en mettant en évidence l’idée de non-agir, ou du
moins de détachement vis-à-vis de l’action. En Orient, l’activité humaine a
pour doublure une passivité paradoxale qui ne consiste pas simplement à
« ne rien faire » mais à « laisser agir » une puissance qui
dépasse notre contrôle. Ainsi « agir par le non-agir » (wei wu wei) est pour les chinois d’une
plus grande efficacité que l’action volontariste sur le cours des choses
plaçant l’homme en « maître et possesseur » (Descartes). Cet autre
régime d’activité, que les sinologues Billetter ou Kamenarovic ont bien analysé,
fait écho en Occident à la tradition quiétiste du christianisme que l’on
retrouve, par exemple, chez Simone Weil (l’attention comme « effort
négatif »). Une telle conception de l’action a des implications
pédagogiques. Dans l’éducation spirituelle, les postures du maître, mais aussi
de l’élève, laissent place à côté du « faire », à la positivité du
« non-faire ». Ce qui n’empêche pas, comme nous allons le voir, la
nécessité du travail, véritable leitmotiv de tous les maîtres spirituels.
-
De la nécessité des efforts et de la persévérance :
Comme l’avance le philosophe de l’éducation O.
Reboul, « éduquer quelqu’un c’est lui faire comprendre qu’on a rien sans
rien, c'est-à-dire sans efforts, sans risques d’échec, et que ce sacrifice loin
de nier la valeur de ce qu’on sacrifie, l’exige ». Le Dalaï Lama ne dit
pas autre chose : « Quand on veut accomplir quelque chose, ne
serait-ce que dans la vie courante, il faut persévérer. De même la réalisation
spirituelle exige un effort ». Evidence dira-t-on. Pourtant ce lieu commun
aujourd’hui « ne va plus de soi » dans l’éducation
contemporaine, et nous semble plus complexe et plus important qu’il n’y paraît,
du point de vue de l’éducation spirituelle. L’effort dont il est question ici,
en effet, porte moins sur l’action (physique ou intellectuelle) que sur la
disposition de l’esprit dans laquelle celle-ci est réalisée. Un acte parfait
est un acte pleinement conscient (que cela soit respirer, marcher ou laver la
vaisselle…). De plus, cet effort n’est pas momentané et excessif, mais doit se
dérouler continûment sur une longue durée, jusqu’à ce que le pratiquant assidu
parvienne à la disparition même de l’idée d’effort. Un nouveau modèle d’effort
apparaît : un effort conscientisé, étale, négatif.
Conclusions : limites et ouvertures de la recherche
1) L’éducation élargie aux
spiritualités du monde entier :
Nous porterons tout d’abord l’attention sur
certaines traditions religieuses et spirituelles écartées de notre corpus. Le
soufisme, branche mystique de l’Islam, et le chamanisme, religion primordiale
selon Mircea Eliade, présentent un réel intérêt pédagogique.
La pédagogie soufie, accorde en effet une place
essentielle à la relation de maître à disciple qui se fait là aussi de
« cœur à cœur », ce centre intime au sommet le plus haut de
l’individualité et qui touche en même temps à l’absolu ( Rûmi l’appelle le
« trésor caché »). Car dans le soufisme la transcendance divine se
lit dans le monde immanent, la vie courante. C’est pourquoi l’enseignement des
maîtres soufis recourt souvent à des anecdotes concrètes et humoristiques, en
apparence simples, mais qui ont en vérité une haute valeur spirituelle. Cette
« science de l’intérieur », qui définit traditionnellement le
soufisme, a de fait une portée universelle et permet de réconcilier à nos yeux
spiritualité et laïcité.
Le chamanisme est l’objet aujourd’hui d’un regain
d’intérêt chez les chercheurs scientifiques, et en même temps d’une
réappropriation en Occident par des « néo-chamanes » qui en
retiennent avant tout la dimension expérientielle, cosmique, écologique. Sous
l’angle de l’éducation, la lecture des ouvrages célèbres, et controversés, de
l’ethnologue Carlos Castaneda, permet de dégager les savoirs pédagogiques de la
figure du chaman. Son initiation auprès d’un sorcier yaqui (Don Juan) met en
œuvre en effet de nombreuses situations d’apprentissages, pleines
d’inventivité, de perspicacité et d’humour. Il y a là un art d’enseigner et
d’apprendre qu’il serait dommage de mépriser.
Mais il y a plus largement dans les sagesses du
monde entier, un chantier passionnant de réflexion sur les rapports de l’être
humain et de l’éducation qui reste à ouvrir. Nous pensons que les enseignants,
les chercheurs, les éducateurs ou toute personne responsable vis-à-vis
d’autrui, peuvent, dans leur cadre professionnel et selon leurs convictions
personnelles, tirer profit de ces savoirs. Tel est le projet de René Barbier
qu’il intitule, en clin d’œil à nos IUFM, « l’ISSM » : Institut
Supérieur des Sagesses du Monde ». L’enjeu est de repenser par là le fait
éducatif dans une perspective élargie, pluraliste, « planétarisée »,
comme le souhaite E. Morin.
2) L’éducation spirituelle dans
les pratiques contemporaines :
Dans un second temps, il s’agit d’ouvrir la
recherche, qui se limite volontairement ici aux mots et aux idées, sur les
pratiques. Qu’en est-il de l’éducation spirituelle dans la réalité ?
Notre thèse sur la « spiritualité »
souffre d’une contradiction gênante. Elle n’a de cesse de rappeler le primat de
l’expérience et de la pratique et se cantonne en même temps dans la spéculation
intellectuelle, livresque, purement théorique. Il serait intéressant après la
thèse de poursuivre notre investigation cette fois sur le terrain. Quitter les
livres, et aller voir comment se passe l’enseignement, ici et maintenant, dans
les spiritualités vivantes. Quelles sont aujourd’hui les pratiques pédagogiques
et la réflexion éducative d’un guide zen, d’un professeur de yoga, d’un maître
en art martial chinois ? La position intermédiaire qu’ils occupent – entre
tradition et modernité, Orient et Occident – pourrait certainement éclairer le
métier d’enseignant. Se trouvent là en effet des domaines de
« savoirs », peu, ou voire pas du tout, pris en compte à
l’école : connaissance intérieure de soi, gestion de l’esprit et des
émotions, transcendance sans Dieu…Nous pouvons d’ailleurs supposer que c’est
précisément l’absence d’éducation sur ces points qui explique le succès
grandissant de ces techniques psycho-corporelles empruntées à l’Orient.
Du reste, le milieu enseignant est une catégorie
socioprofessionnelle très représentée dans cette recherche
« exotique » d’un mieux-être. Les incidences sur les pratiques
enseignantes de ces cultures « autres » que occidentales ont été
étudiées en particulier dans un numéro de « Pratiques de formation »
(1991) dirigé par René Barbier. Cette enquête – qui explorait une question
encore taboue – serait aujourd’hui à poursuivre. L’éducation nationale se
recentre sur les « fondamentaux », et les priorités sont ailleurs
dira-t-on. Pourtant il en va là aussi sans doute du fondamental, au sens
philosophique et spirituel du terme.
3) L’éducation spirituelle à
l’école laïque ?
Dans le double contexte actuel de « sortie de
la religion » (M.Gauchet) et de « retour du religieux » (F.Lenoir,
D.Hervieu-Léger), notre hypothèse est que les spiritualités peuvent désormais
être l’objet d’une lecture qui les désolidarise des religions. La formule de
« spiritualité laïque », qui apparaît de plus en plus fréquemment
sous la plume de nombreux penseurs contemporains, est un symptôme de ce
changement profond. Ce concept –
sous-jacent à toute notre thèse – serait maintenant à expliciter en faisant
appel aux travaux de Bernard Besret, de Luc Ferry et de René Barbier (André
Comte-Sponvile vient aussi tout juste de publier un livre sur le sujet
« L’esprit de l’athéisme, introduction à une spiritualité sans
Dieu »).
B. Besret, en particulier dans « Du bon usage
de la vie » (1996), prend appui sur son expérience monastique pour
proposer à tout homme, croyant ou non, un art de vivre portant sur les éléments
fondamentaux de la condition humaine : santé et maladie, parole et
silence, mort et souffrance…Pour lui la spiritualité est libre de toutes
attaches et constitue un patrimoine commun qui permet à chacun de s’orienter
vers ce qui est « essentiel ». Cette recherche spirituelle, adaptée
au monde contemporain, est proche de la réflexion du théologien R. Panikkar qui
lui est contemporaine.
De même, L. Ferry, constate la permanence des
questions d’ordre « spirituel » dans nos sociétés sécularisées.
Cependant pour ce philosophe humaniste, dans la lignée de Kant, la spiritualité
ne s’entend plus comme une transcendance verticale, reliant l’homme à Dieu ou à
l’absolu, mais comme une transcendance horizontale, reliant l’homme à lui-même
et aux autres hommes. Dans ces sens la spiritualité laïque se vit dans le monde
ici-bas, sans faire référence à aucun au-delà. Nous retrouvons cette idée
d’immanence, poussée jusqu’à la mystique, chez Comte-Sponville.
Enfin, chez R. Barbier, cette notion en apparence
paradoxale permet de prendre en charge la dimension sacrale de l’être humain,
qui est radicalement pour lui au-delà des institutions et des définitions
rationnelles. La « spiritualité » devient alors un instrument critique
de la rationalité scientifique et de la croyance religieuse, et, en retour, la
« laïcité », un moyen d’investigation raisonnée et distancée de
l’expérience spirituelle. La spiritualité laïque remplit un rôle d’articulation
entre ces deux champs de références et de significations. Mais « peut-on
ouvrir l’enseignement à la spiritualité laïque ? », s’interroge-t-il
dans un article sur « l’éducateur et le sacré » (site personnel,
2003).
L’introduction d’éléments de spiritualité laïque à
l’école se heurte aux résistances d’une laïcité fermée à une approche
phénoménologique de l’expérience spirituelle, au profit d’une approche purement
historique du fait religieux (M.Estivalèzes). Comment concilier les
« savoirs spirituels » - qui sont de l’ordre éminemment de la
conscience intime – et les savoirs scolaires – qui sont reconnus socialement
comme légitimes ? L’école, lieu d’exercice de la pensée critique, a-t-elle
le droit de s’immiscer dans cette dimension intérieure, au cœur même de la
personne ? Il faut là beaucoup de rigueur, de sensibilité et de
prudence !
Osons, dans ces limites, quelques propositions de
réflexion.
-
« On éduque par ce que
l’on est » : Socle de l’éducation spirituelle, ce principe incite l’enseignant à une
attention qui se centre, au-delà des savoirs disciplinaires et des méthodes
pédagogiques, sur les qualités humaines pensées comme essentielles. Un travail
de soi sur soi est dès lors la première condition pour enseigner.
-
Un autre rapport au
corps : l’approche d’un « corps conscient » (Ysé Tardan-Masquelier).
L’école est sous la domination de l’intellect, héritée de la pensée dualiste
cartésienne, qui exclut les ressources spirituelles du corps. Les conceptions
des spiritualités orientales peuvent nous
aider à dépasser ce clivage. Le corps peut être une assise pour l’esprit (comme
le confirme le neuro-biologiste A. Damasio), une source pour l’apprentissage
des connaissances, bref, un moyen essentiel de construction du sujet.
-
Un autre rapport à
soi : une « pédagogie de l’intériorité » (R.Nouailhat). La
spiritualité, nous l’avons vu, est une exploration de l’espace du dedans. Elle
représente aujourd’hui dans « la société de spectacle » qui nous
sollicite en permanence vers le dehors, une sorte « d’inversion de la
diversion », selon l’heureuse expression du philosophe Gabriel Madinier.
Apprendre à se tourner vers soi (aucun égocentrisme ici) permettrait une
meilleure connaissance de soi, indispensable au développement harmonieux de la
personne.
-
Une autre vision du sujet : L’individu
contemporain est fragmenté, éclaté comme le décrivait déjà Robert Musil dans
« L’homme sans qualités » (1930). Les démarches spirituelles, tout en
reconnaissant la multiplicité de la conscience, affirment au contraire l’unité
de l’être. C’est cette volonté d’unification, de simplicité, et tout simplement
de bon sens, qui nous semble pertinente aujourd’hui à réapprendre et à
réintroduire dans le domaine de l’éducation et de la formation, de plus en plus
sophistiqué et morcelé.
-
Une raison autre : L’expérience spirituelle,
si elle déborde des limites de la rationalité, n’est pas irrationnelle. Elle
est une raison « ouverte » (E.Morin) ou « sensible »
(Maffesoli). Le défi en éducation serait la reconnaissance de ces autres formes
de pensée, de ces autres possibilités d’intelligibilités que nous avons
rencontrés tout au long de cette recherche dans l’univers des spiritualités.
-
Une action autre : La spiritualité,
dans la mesure où elle est une expérience personnelle et non un « discours
sur », engage obligatoirement une pratique et une conduite de vie.
L’action « juste » dans le bouddhisme, l’action non-action dans le
taoïsme, l’action désintéressée de la tradition hindoue, l’action
« divine » dans la tradition chrétienne, sont autant d’exemples d’autres
modalités d’agir. Ces conceptions de l’action peuvent avoir une valeur
praxéologique pour l’enseignant dans un cadre scolaire et l’aider indirectement
dans sa conduite de la classe.
-
Un savoir autre : Le savoir spirituel
est une connaissance ordinaire. Il s’appuie sur l’expérience de tout ce que
l’on vit, fait, pense, sent, observe…Comme le déclare F.Varela « le simple
fait d’être là est le véritable travail ». En même temps, le savoir
spirituel est une connaissance extraordinaire.
Il échappe au déjà connu, arrache le voile des habitudes. Il fait
irruption dans la trame de la vie, illumine, émerveille, bouleverse… Et cette
expérience ordinaire-extraordinaire est universelle: elle n’appartient à aucune
catégorie, à aucun programme, à aucune école, à aucune religion…
Comment donc transposer une telle connaissance dans
le cadre de l’Education Nationale ? La chose est peut-être impossible.
Mais puissions-nous seulement y faire
attention que cela constituerait déjà, je crois, une grande et belle
avancée.
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