de René Barbier
Samedi 21 et dimanche 22 mars, Antonella Verdiani avec ses
collaborateurs ont inauguré et animé une remarquable réalisation : le
Printemps de l'éducation.
Je veux ici dire ce que je pense de cette magnifique rencontre à Paris à
la Gaité-Lyrique, plus de 2000 personnes en ont profité.
Je parlerai ici de trois axes :
L'accueil.
Le discernement.
La mobilisation.
L'accueil
Depuis plus d'un an, Antonella Verdiani s'est entouré d'un groupe de
bénévoles de plusieurs dizaines de personnes pour s'informer, réunir,
des représentants des mouvements pédagogiques d'avant-garde, écoles
différentes, d' initiateurs de projets pensés concernant une autre forme
d'éducation.
Depuis des années Antonella Verdiani a œuvré, dans le cadre de l'Unesco,
en faveur de l'école, de l'éducation et de la non-violence. À la suite
d'un séjour en Inde, qui l'a profondément modifiée, elle a entrepris un
doctorat en sciences de l'éducation pour lequel je l'ai accompagnée
pendant quelques années à l'université Paris 8.
Elle a quitté l'Unesco pour réaliser ce qu'elle pensait être le meilleur pour l'éducation.
J'ai suivi avec intérêt son parcours depuis cette époque.
Un point fort, ce week-end, a été consacré à cette réunion nationale de
tous les représentants des innovations pédagogiques en France.
C'est une volonté d'ouverture qui a présidé à cette réunion éducative.
Le groupe du Printemps de l'éducation a accueilli toutes les tendances
qui tentaient ou qui avaient déjà réalisé des actions, des écoles, des
institutions, dans le domaine d'une éducation différente et nouvelle.
De nombreux enseignants du primaire, secondaire et même du supérieur
sont venus témoigner de leur intérêt, de leur projet, et de leurs
réalisations pendant ce week-end. C'est dire qu'il ne s'agit pas
uniquement de l'éducation privée mais également de l'éducation
nationale, un renouveau qui est d'une plus grande ampleur, en France et
dans le monde.
Les enfants participants à ces différentes écoles sont venus témoigner
de la joie qu'ils pouvaient ressentir. C'est en effet sous l'égide de la
joie d'apprendre qu'Antonella Verdiani a animé ce Printemps de
l'éducation.
Le discernement
Il est évident qu'un mouvement d'une telle ampleur entraîne des
individus à s'en servir de tremplin médiatique et à vouloir réaliser des
œuvres parfois contestables. La centration sur la joie à l'école est
beaucoup plus que le plaisir d'enseigner et d'apprendre. Ce dernier
point serait déjà quelque chose d'extrêmement innovant. La joie va
beaucoup plus loin et implique une qualité d'expression et d'être à
dimension intellectuelle, affective, et même spirituelle.
Sous cet angle, la joie à l'école présente de faille possible.
La première consiste dans la méconnaissance de la réalité sociologique
des publics concernés par ce type d'école. Il est évident qu'il s'agit
de publics relativement cultivés et dotés de moyens financiers, au moins
en ce qui concerne les institutions privées. Mais il est vrai que dans
l'éducation nationale, des professeurs des écoles, de collège et de
lycée, tentent et réalisent des actions pédagogiques dans des zones
défavorisées et dans lesquelles le plaisir d'apprendre est loin d'être
absent.
Par ailleurs, les institutions privées éducation nouvelle ne souhaitent
souvent qu'une seule chose, obtenir des subventions et des accords avec
l'éducation nationale pour que les frais de scolarité soient réduits au
maximum. Mais on connaît la difficulté de faire bouger les instances
bureaucratiques de l'éducation nationale pour ce faire.
La seconde faille consiste dans les débordements que présente ce type
d'utopie éducative centré sur la joie. L'imaginaire qui s'y déploie
gravite autour de l'idée de l'enfant roi. Il s'agit d'épanouissement
dont le retentissement spirituel est évident. C'est sans doute l'extrême
pointe d'un processus d'expression du "sentiment de soi" (Georges
Vigarello, Seuil, 2015) qui a commencé au XVIIIe siècle. On risque, de
ce fait, de rencontrer parmi les adeptes, des personnes et des groupes,
plus ou moins illuminés et décidés à faire valoir leur point de vue
d'une manière drastique. Certains pensent même vouloir transformer la
joie à l'école en parti politique et planétaire ! Quelques
personnalités, dans ce débordement, s'installent dans des positions de
gourou de mauvais aloi. Il propose des exercices de réalisation de la
joie immédiate qui ressemblent fort à ce que l'on a connu dans les
années 1960 sous le nom de mouvement du potentiel humain et du "nouvel
âge". Déjà dans mon ouvrage de 1977 sur "la recherche-action dans
l'institution éducative" (Gauthier-Villars) j'en avais fait la critique
constructive.
Tout ce qui fait l'effort d'aller vers une spiritualité authentique
savent bien que la joie interne à l'être humain ne se réalise pas par
cette forme de trucage.
On connaît maintenant les dérives sectaires qui peuvent en résulter. Il
ne s'agit plus alors ni de joie et de plaisir mais d'aliénation.
Celle-ci disqualifierait ce mouvement du Printemps de l'éducation.
La mobilisation
Je veux parler ici de mobilisation et pas seulement de motivation, en
suivant l'analyse de ce concept par Bernard Charlot. La mobilisation ne
relève pas simplement de la psychologie, mais s'insère dans un contexte
où le sujet destiné à apprendre est un être social, économique, et
politique. C'est une reconnaissance de la complexité du sujet humain.
Personnellement, je n'oublie pas la dimension spirituelle, dans le cadre
d'une spiritualité ou d'une sagesse laïques. Se mobiliser pour le
Printemps de l'éducation, c'est reconnaître que l'apprenant est à la
fois un "s'apprenant" mais aussi un "coapprenant" avec d'autres, comme
avec la nature, sans nier le conflit créateur qui peut en résulter, par
l'action de ce que Jacques Ardoino a nommé la "negatricité" (Éducation
et politique, Gauthier-Villars, 1997) car c'est vraiment la notion de
conflit qui manque chez les fanatiques de la joie à l'école. Le conflit
est intrinsèque à la dynamique de la psyché.
Le travail intérieur et spirituel englobe tous les aspects
contradictoires de la psyché. Il s'agit d'une élucidation des mécanismes
internes ou dialoguent sans cesse le bien et le mal, ou encore le
positif et le négatif. La joie réalisée implique un dépassement dans un
troisième niveau ou perspective de compréhension de la vie spirituelle
dans sa confrontation au monde et aux autres. Reconnaissance vécue et
transformatrice de la complexité de la vie humaine inscrite dans la
complexité de l'univers.
C'est alors que la mobilisation peut être proposée et réalisée entre
tous les partenaires de l'action éducative dans le respect, l'estime et
la reconnaissance : les enfants, les enseignants, les parents, le
personnel scolaire, administratif et de service, sans oublier les
intervenants externes.
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